Phénix
Parfois ma bien-aimée est comme l’alouette
Qui monte, le matin, de la plaine muette,
Et chante, aux sources d’or d’où s’épanche le jour,
Un chant de triomphe et d’amour.
J’oublie en t’écoutant la chaste Philomèle ;
Tu fais étinceler des diamants comme elle,
Et tu donnes une âme au silence des bois,
Que semble illuminer ta voix.
Mon amie est souvent un cygne plein de grâce,
Dont le beau vol de neige émerveille l’espace,
Et qui, dans le lac bleu, vient goûter un sommeil
Bercé par l’onde et le soleil.
N’es-tu pas comme l’aigle aux ardentes prunelles
Qui, baignée en un flot de clartés éternelles,
Contemple impunément le triangle de feu ?
Tu palpites aux pieds de Dieu.
Mais, parce que ton cœur est toujours solitaire,
Tu ne ressembles point aux oiseaux de la terre ;
Tu ne saurais verser les trésors de ta foi
Dans une âme digne de toi.
Qui froissera jamais les roses de ta couche ?
Qui pourrait, sans mourir, entendre de ta bouche
La musique des lents et suaves aveux ?
Qui baisera tes beaux cheveux ?
Au pays de l’encens, du nard et de la myrrhe,
Voici que le Phénix impatient soupire
Après l’heure où son corps doit périr consumé ;
Lui non plus n’aura point aimé.
Un héroïque amour de sa forme future
Fait qu’il salue ainsi sa prochaine torture :
« Viens me purifier des souillures du temps ;
Jaillis, ô flamme, je t’attends. »
Ô radieux Phénix, je comprends ta tristesse.
Rien ne te guérira de l’amour qui te blesse ;
Car, seule de sa race en un monde trop vil,
Ton âme y souffre un dur exil...
Mais, lorsque mon regard au fond du tien se noie,
Ne sens-tu pas ton cœur attendri par ma joie,
Et ne trouves-tu pas je ne sais quelle paix
Dans le bonheur que tu me fais ?
Maurice BOUCHOR.
Paru dans Psyché en 1892.