Crépuscule

 

 

Le soleil qui meurt ceint le front des Laurentides.

L’air est si léger que les feuilles se reposent.

On dirait que la vie semble vouloir expirer ;

on dirait que le ciel se recueille en prière.

Devant cette halte des choses,

l’esprit, sans contraintes, ouvre une aile géante.

L’ombre s’approche et je glisse dans le rêve :

je rêve à l’amour, je pense au bonheur ;

même si le bonheur n’est rien,

même si l’amour nous déçoit !

Le souffle qui m’anime est un souffle d’espoir.

J’ai compris que sur terre l’homme ne vit qu’en aimant,

et qu’un cœur innombrable héberge une âme heureuse.

Or, pénètrent dans mon sein la tristesse et la joie.

Je voudrais tout aimer et je pleure l’impossible !

Car l’amour le plus beau est celui qu’on ne sait pas,

le bonheur qui existe n’a plus rien qui nous touche.

Ah ! le chef-d’œuvre ici-bas a de sombres dénouements !

Ce soir, j’ai le don d’ubiquité ;

je plane comme une âme, je rampe sous la fleur ;

m’éloignant de la terre, je n’ai plus d’horizon ;

avec l’ombre je détruis la beauté.

Au sein d’un paysage agreste repose ma douleur ;

sous un peuple d’étoiles je berce l’illusion ;

enfin, je vis le confort qui n’est pas mon destin.

 

AVEC L’OMBRE JE DÉTRUIS LA BEAUTÉ :

au seuil de la nuit je vois pleurer des frondaisons,

et dans l’herbe qui frissonne, le grillon se cacher.

J’écoute soupirer la terre et murmurer les cieux.

La pourpre amoncelée sur un tableau d’azur,

ne projette plus de flamme et l’étoile va surgir ;

je vois l’heure qui décline et percer le mystère.

Le charme disparaît quand viennent les ténèbres.

 

Lumière, tu es sublime pour les êtres et les choses.

Tu pénètres le néant et l’univers est un monstre.

Soleil de l’esprit, soleil de la nature,

sans toi, le Christ pourrait nous plaindre encore :

MISERIOR SUPER TURBAM !

Pourtant, il en est qui blasphèment la lumière...

Comme il est vrai que l’homme s’agite et Dieu le mène !

Dans un lieu qui n’est pas fait pour jouir,

on veut des couronnes, on cherche la gloire...

Non, la récompense n’est pas sur terre.

« Buvez avec moi le calice », nous dit Dieu.

« Calicem Salutaris Accipiam. »

Ah ! je suis las de rêver, je voudrais m’endormir...

Un sinistre nuage abîme le couchant !

Il n’y a plus que des rayons couleur d’arc-en-ciel,

et qui se perdent dans le blafard !

Quelque part, je ne sais où, un rythme s’évade :

on dirait la musique de Chopin qui fait danser le soleil,

se précipiter l’abeille au sein des fleurs...

Soudain, l’air est plus triste,

la musique devient lourde de nostalgie.

Ah ! je voudrais m’endormir !...

 

 

 

Eddy BOUDREAU, Vers le triomphe, 1950.

 

 

 

 

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