Le retour de l’enfant prodigue

 

 

Soit que l’archange, au jeune Hébreu fidèle,

Par ce discours eût animé le zèle ;

Du sol natal, soit que l’aspect vainqueur,

De ses transports calmant l’inquiétude,

Accrût sa force et déjà dans son cœur

De ses devoirs réveillât l’habitude,

Il marche enfin.... Des tentes de Ruben

Il a repris la route accoutumée ;

Autour de lui, des foyers de Gessen

Il voit déjà s’étendre la fumée ;

Déjà sa course a franchi les ruisseaux

Où de Ruben s’abreuvent les troupeaux.

En s’avançant dans la fertile plaine,

Dans les jardins, il reconnaît à peine

Les bois grandis, les jeunes arbrisseaux,

À son départ famille humble et rampante,

Qui dans les airs déployant ses rameaux

Du vieux Ruben couvre aujourd’hui la tente.

De ce réduit qu’habite encor le deuil,

Il touche enfin le redoutable seuil,

Quand une voix, du sein de cet asile,

Se fait entendre et l’arrête immobile :

« Oui, cher époux, ta bouche l’a promis

(Dit cette voix qu’il ne peut méconnaître) ;

À tes regards, s’il ose reparaître,

Notre Asaël est donc sûr d’être admis !

Ah ! tu vois trop ma tendre inquiétude.

Mais, tout ici m’atteste vainement,

Et son absence et son ingratitude :

Mon cœur, bercé d’un doux pressentiment,

L’attend toujours dans cette solitude.

Sans le blâmer, plains mon aveuglement.

Ah ! de mes vœux pourrais-tu prendre outrage.

C’est toi que j’aime en ta vivante image :

Oui, ta tendresse est mon plus cher trésor ;

Des autres biens Nephtale est peu jalouse ;

Mais, s’il venait, tu me verrais encor

Heureuse mère autant qu’heureuse épouse.

Ah ! c’en est trop. » À ces mots Azaël,

Rendu sans doute à sa vertu première,

Ouvre la tente, et comme un criminel,

Le cœur brisé, le front dans la poussière :

« Grâce, dit-il, je suis ce malheureux

Qui, s’échappant de vos bras généreux,

Loin du séjour de son heureuse enfance,

Alla porter sa folle indépendance.

Sur quel espoir, et pour quels biens honteux

Je dédaignai le bonheur véritable !

Ah ! quand le cœur forme un dessein coupable,

Dieu nous punit en exauçant nos vœux.

Couvert de honte, accablé de souffrance,

La mort longtemps fut ma seule espérance ;

Je l’implorais ; enfin je me suis dit :

Rassure-toi, tu ne fus point maudit ;

Et le remords m’a conduit à mon père. »

D’un fils coupable, ô fortuné retour !

Ô d’une mère inépuisable amour !

Ah ! qui peindrait cet instant plein de charmes,

Cet heureux jour payé par tant de larmes !

Dans le délire où s’égare mon cœur,

Des mots sans suite échappent de sa bouche :

Quoi ! c’est mon fils ! mais, non, c’est une erreur.

Pour s’en convaincre, elle approche, elle touche,

Fixe un moment des regards douloureux

Sur tous ses traits qu’a flétris l’indigence ;

D’un long baiser couvre son front poudreux,

Au cœur d’un père éveille l’indulgence,

Et, sans regret aux pleurs qu’elle a versés,

Bénit le ciel de tous ses maux passés.

 

 

 

CAMPENON.

 

Recueilli dans

Choix de poésies morales

et religieuses, 1837.

 

 

 

 

 

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