La bienfaisance

 

 

Papillon de boudoir, qu’un folâtre jeune homme

D’un bonheur passager poursuive le fantôme,

Et promène au hasard son inutilité ;

S’enivrant à loisir de faciles délices,

        Que de ses charmantes complices

Il vante devant moi la grâce et la beauté ;

Qu’un avare au cœur sec adore sa cassette

Qu’en ses rêves d’orgueil un fastueux poète

Savoure du public l’encens adulateur ;

Qu’un joueur, respirant la fraude et la rapine,

D’une famille en deuil consomme la ruine,

Je ne suis point jaloux de leur triste bonheur !

 

Mais il est un plaisir fait pour les grandes âmes,

Pour ceux qu’un amour pur brûle de saintes flammes,

Pour tous ceux dont le sein bat noble et généreux ;

Un plaisir que mon cœur préfère à tout le reste,

Qui s’épand sur nos jours comme un parfum céleste :

        Celui de faire des heureux !

 

Qu’il est doux, messager de joie et d’espérance,

D’entendre, en abordant le toit de l’indigence,

Des cœurs reconnaissants les sublimes concerts !

D’arracher l’infortune à son triste délire,

        Et de faire éclore un sourire

        Où ruisselaient des pleurs amers !

 

Tantôt, c’est un proscrit, c’est un malheureux père,

Qu’un ennemi puissant poursuit de sa colère ;

C’est un nouveau Gilbert en butte aux coups du sort ;

Il voit dans les tourments d’une lente agonie,

                Expirer son génie,

Et, comme un doux refuge, il invoque la mort !

 

Tantôt, c’est l’orphelin ; exilé dans ce monde

Il revient chaque soir, en sa douleur profonde,

Verser sur un tombeau des pleurs silencieux,

Traîne de tristes jours flétris par la misère,

Et pour se reposer n’a de lit que la terre

                Et de toit que le ciel !

 

Là, c’est de notre gloire un débris héroïque ;

C’est un noble vieillard qu’aux sables de l’Afrique,

Le géant des combats décora de sa main ;

Aujourd’hui, répétant une plainte stérile,

Il se meut avec peine, et va de ville en ville

         Mendier un morceau de pain.

 

Plus loin, c’est de l’amour une frêle victime ;

Elle aima sans réserve (aimer est-il un crime !)

Et la voilà pleurant, seule, et mourant de faim ;

Aux cœurs indifférents elle peint ses alarmes,

À l’austère vertu qui dédaigne ses larmes,

Elle montre un enfant endormi sur son sein !...

 

Oh ! que ne suis-je né sous la voûte brillante

Où dort de nos Crésus la mollesse opulente !

Oh ! que n’ai-je reçu, pour prix de grands labeurs,

Les trésors enfouis dans leurs coffres avides !

Combien je calmerais de plaintes homicides !

         Combien je tarirais de pleurs !

 

Mais puisque je n’ai point l’opulence en partage,

Je veux au moins, je veux à ce pieux usage

Consacrer chaque jour mon denier superflu,

Pour qu’à l’heure suprême, en quittant cette terre,

Je ne me dise pas dans ma douleur amère :

J’ai pu faire un heureux, je ne l’ai pas voulu !

 

 

 

Jules CANONGE, Les Préludes, 1835.

 

 

 

 

 

 

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