Mon luth

 

 

                                             À M. Charles Nodier.

 

 

As-tu vu quelquefois dans nos vieilles chroniques,

Ces luths mystérieux, ces harpes fantastiques

Qu’un barde suspendait à l’orme du manoir ?

Jamais l’art n’en tira pour charmer les oreilles

D’un concert régulier les savantes merveilles ;

Seulement, quand régnait le silence du soir,

 

Leur corde renvoyait en notes indécises

Les soupirs du bouleau balancé par les brises,

Des vents et de la mer le fracas orageux,

De l’errant pèlerin la prière plaintive,

Ou le gai fabliau, la ballade naïve

Que chantait en passant le trouvère amoureux.

 

Et, soit que dans son vol un oiseau des ténèbres,

L’ébranlât par le vent de ses ailes funèbres,

Soit qu’une ombre en fuyant l’effleurât de ses doigts,

Vague comme un parfum, léger comme un zéphire,

Doux comme un souvenir de l’amant qui soupire,

Un chant s’en exhalait et mourait dans les bois.

 

Et le pauvre captif, clans l’humide tourelle,

Écoutait, et rêvait la liberté si belle !

Et le fier châtelain, dans son brillant manoir,

Tout pâle frissonnait réveillé par ses crimes,

Comme s’il entendait la voix de ses victimes

Mêler des bruits vengeurs aux pris du désespoir.

 

Et la vierge rêvant sur le balcon gothique,

Entre ses blanches mains penchait son front pudique ;

Ces sons lui rappelaient un soupir, des accents

Dont son cœur ne pouvait bannir la souvenance....

Et d’inconnus désirs, une vague espérance

La berçaient jusqu’au jour de rêves caressants.

 

    Ce luth capricieux c’est le mien ; ma pensée

Ne sait point à toute heure, avec art cadencée,

En sons mélodieux épancher ses trésors ;

Un sentiment profond, une image brillante

Peuvent seuls réveiller sous ma main indolente

La fibre poétique aux merveilleux accords.

 

Mais qu’un autre épouvante et torture le crime ;

Je suis trop faible encor pour ce devoir sublime,

Il faut à mes couleurs des tableaux plus riants ;

Un chant doux et plaintif convient seul à ma lyre,

Et, comme de la joie elle craint le délire

Elle fuit le remords et les cris déchirants.

 

Heureux, lorsque ma main timide s’y promène,

S’il se trouve un ami dont le cœur me comprenne,

Dont l’œil sur ma tristesse aime à verser des pleurs !

Trop heureux si parfois j’ai séché d’autres larmes,

Si le mortel qui souffre, oubliant ses alarmes,

Répète en souriant mes vers consolateurs !

 

 

 

Jules CANONGE, Les Préludes, 1835.

 

 

 

 

 

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