La musique

 

 

Ô musique ! recherche et trouve ma douceur,

Rends-moi faible, rends-moi fragile, rends-moi tendre

Insinueux enchantement, et qu’à t’entendre

      Fonde la douleur de mon cœur.

 

Ô musique ! je suis rigoureuse, obstinée,

Droite au bord de la vie avec mon grand fardeau ;

Pareille à l’iris bleu penché sur un cours d’eau,

      Fais que je me sente inclinée.

 

Toujours prêts à blesser ou prêts à se briser,

Mes nerfs fins et tordus sont l’orgueilleuse corde

D’un arc vers le ciel d’or ! Oh ! fais que je m’accorde

      Aux passages de ton baiser.

 

De l’arc raide et sans voix fais une souple lyre,

Puis ayant démêlé tout l’enchevêtrement,

Use de moi, chante sur moi, sois mon amant,

      Et conte un inspiré délire.

 

Chante ! il me reviendra des espoirs éperdus,

Je n’ai nul souvenir qui n’aime et ne réclame

Ton charme, et le contour indécis de mon âme

      Est plein d’échos qui se sont tus.

 

Oh ! que je sois encore et coupable et naïve,

Et qu’enfin j’abandonne un peu de mon secret,

Que j’aime le bonheur qui sur le cœur paraît

      Un vent d’été sur de l’eau vive.

 

Guéris-moi d’adorer la rigide douleur,

De rechercher ce qui fait mal et ce qui souffre,

De fouiller les fonds noirs de la nuit et du gouffre,

      D’aimer la plus étrange fleur.

 

Guéris-moi de ma foi, de mes vœux, de moi-même,

De mon front, juge impartial, vain maître actif,

Et de mon cœur visionnaire et sensitif

      Si chargé de tout ce que j’aime.

 

Ô musique ! surtout distrais-moi de l’amour

Qui me fait un destin royal et solitaire,

Ô promesse du ciel et soupir de la terre

      Croisés et mêlés tour à tour,

 

Ô plainte de la mer, ô rêve de Cécile,

Vibration de grâce au céleste chemin,

Suprême expression de tout l’essor humain,

      Que je te sois humble et docile.

 

Musique, n’est-ce pas toi qui fais scintiller,

En descendant des cieux, les sensibles étoiles,

Et, montant de la mer, toi qui gonfles les voiles

      De hauts cris qui vont s’exhaler ?

 

Rythme de l’espérance et des miséricordes,

Rythmes cruels, rythmes fervents, rythme sacré,

Rythme voluptueux, dansant, rythme paré,

      Et rythmes déchirés des hordes,

 

Rythme plus cher d’amour tendre et d’intimité,

Ô musique ! voix de la main, toucher de l’âme,

Son du regard et du songe, cri de la flamme

      Vers des paradis de clarté,

 

Fais, ô magicienne, ô subtile harmonie,

Que, mêlée aux secrets extrêmes des accords,

Je sache le moment des bienheureux transports

      Et que je me rêve infinie...

 

La vie est un chemin qui veut ce qu’on lui doit,

Et bientôt tous mes sens où tu jouais divine

S’éteindront d’un seul coup sous l’ordre qui domine

      Comme un cristal touché du doigt.

 

 

 

Jane CATULLE MENDÈS.

 

Extrait de Les Charmes.

 

 

 

 

 

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