Mère, appuie-toi sur moi...

 

 

Mère, appuie-toi sur moi : c’est l’heure aux sobres teintes

Où tu viens à pas lents, souriante, t’asseoir

Au calme et doux jardin... Dans l’air pâli du soir

Un angélus au fond du clair silence tinte...

Sieds-toi, mère, et souris et regarde le soir,

Emplis tes chers beaux yeux de lumière limpide.

Vois, de rares oiseaux traversent le ciel vide

Comme des rêves lents qui s’en vont... Tout s’est tu

Sur la route qui mène au village, et vois-tu

Dans les branches déjà que l’ombre bleue envoile,

Aux arbres endormis, immobiles et beaux,

La chère éclosion des premières étoiles..... ?

Sens-tu neiger sur tout l’ineffable repos ?

Repose-toi, ma fille, aussi repose enfin

Tes yeux lassés de pleurs, ta vieille et blanche tête

Et ton douloureux cœur, – laisse un peu de divin

Apaisement descendre en toi, – ta tâche est faite...

 

Elle est assise, douce, heureuse et ses yeux pâles

Vaguent dans un sourire intérieur,... ses doigts

Unis très sagement sur sa robe aux plis droits

Si simple, en la pénombre ont des lueurs d’opale...

Et moi je la contemple en secret : ô visage

Bien-aimé, qu’en ce chaste adieu de la journée,

Sur ce fond recueilli des lointains paysages,

Vous avez de beauté fervente et résignée,

D’indulgence et d’amour et de renoncement...

Je vous contemple avec un subit tremblement

Sur les lèvres, le cœur tout à coup pénétré

De tendresse éperdue... Chers yeux blessés des pleurs

D’autrefois (ô mon Dieu, que vous avez pleuré !)

Voyez-vous défiler d’anciennes douleurs,

Les visages défunts des choses familières,

Nos sourires d’enfant, des bonheurs inconnus

Qui fleuriront pour nous quand vous ne serez plus,

Revoyez-vous toute la vie sous vos paupières ?

Et les voilà ces mains maternelles et sûres,

Les courageuses mains, très belles et très bonnes,

Mains chastes, mains sacrées qui ferment les blessures,

Les indulgentes mains très simples qui pardonnent ;

Votre geste immobile, ô mains silencieuses,

A l’air dans la ferveur du soir d’une prière

Et l’ombre en les frôlant de ses lèvres pieuses

Mystiquement y pose une clarté dernière...

 

Humble femme où l’amour mit un rayon vivant,

Nous te devons la chair et le cœur ; humble femme,

De l’eau bleue de tes yeux tu fis nos yeux d’enfant

Et de tes douces mains tu fis toute notre âme...

Et voici qu’à cette heure élargie de silence

Le passé lentement repasse et je repense :

La beauté de ta vie je l’avais mal comprise,

La joie de la douleur vaillante, ô douloureuse,

C’est toi, qui sans parler, ce soir me l’as apprise,

Ton cœur m’a tout appris, ô femme courageuse !

C’est toi qui m’ouvres l’âme aux Résignations !

Et j’écoute, le cœur muet d’émotion,

La musique qui chante en rêve et glorifie

Ton humble amour et monte, ô révélation !

Des profondeurs miraculeuses de ta vie !

 

Elle ne fut, ta vie, qu’un calme sacrifice

Sans regret, sans orgueil, qu’un long devoir austère

Et qu’une longue angoisse inexprimée où glissent

Les pleurs qu’on sait cacher, les secrets qu’on sait taire ;

Et voici qu’à cette heure où tout se transfigure

La calme vérité de ton amour ruisselle

Comme une eau de splendeur du fond de tes prunelles,

Tout le long de tes doigts, entre tes lèvres pures... !

Et devant toi mon cœur, mon cœur qui se rappelle,

Tout mon cœur filial s’agenouille sans bruit

Et pleure en regardant luire au bleu de la nuit

Ton âme en sa pâleur surhumainement belle !...

 

 

Camille CÉ, Le Livre des résignations : Dédicace.

 

Recueilli dans Anthologie critique des poètes normands de 1900 à 1920,

Introduction, notices et analyses par Charles-Théophile Féret,

Raymond Postal et divers auteurs, Librairie Garnier Frères, s. d.

 

 

 

 

 

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