L’amour filial

 

                                                   À M. F. DAVIOT.

 

 

Ami, de ta douleur je sens l’immensité ;

Je comprends qu’abattu par la fatalité,

Redoutant les regrets qu’un souvenir enflamme

Tu craignes de sonder les replis de ton âme !

Tu recules, dis-tu, devant ce noir tableau,

Et ta raison a peur d’y porter son flambeau !

Le coup qui t’a frappé ne semble être qu’un songe ;

Garde l’illusion que ton espoir prolonge,

Et le jour où certain de la réalité

Tu’ voudras contempler l’affreuse vérité,

Ce grand consolateur que le Ciel nous assure,

Le Temps, aura versé son baume à ta blessure,

Et calme, tu pourras jeter dans le passé

Un regard moins amer sur ton bonheur froissé.

 

Objet des passions que l’amour nous inspire,

La femme a sur nos cœurs un admirable empire,

Mais la mère, à mes yeux, est l’amour idéal

Qui dans nos cœurs charmés doit régner sans rival.

Il est si doux ce nom ; enfant, on le murmure,

Il rayonne pour nous d’une splendeur si pure

Que rien dans notre esprit ne pourrait le ternir,

Et que nul devant nous n’oserait le flétrir !

Plus fortuné que toi, je vois encor ma mère

Protectrice zélée, à mon âme si chère,

M’entourer de ses soins, gémir sur mes douleurs,

Mêler son rire aux miens et ses pleurs à mes pleurs.

Ah ! le cœur d’une mère est le trésor unique

Qu’on trouve avec bonheur dans tout moment critique ;

Fière de nos succès dans la prospérité,

Seule elle nous défend contre l’adversité,

Partout nous la voyons attentive, inquiète

Écho de nos douleurs que son âme reflète.

Et comment oublier ce souvenir touchant ?

Ami, quel est l’ingrat, quand la mort approchant

Sépare brusquement cette intime alliance,

Qui ne sent pas brisé, vaincu par la souffrance,

Ce cœur qui fut l’objet et le but de ses soins,

Et dont les qualités sont l’œuvre de ses mains.

Arrière faux amours, amitié mensongère,

Le seul amour pour moi c’est l’amour de ma mère !

 

N’as-tu jamais parfois trouvé sur ton chemin

Un de ces esprits forts au langage hautain,

Qui, blasés des plaisirs, dans leur verve sceptique,

Imposent fièrement leur avis despotique,

Prétendent que la femme, exempte de vertus,

N’offre à notre examen que des sens corrompus,

Et, joyeux d’étaler ces ignobles principes,

Résument leur pensée en de monstrueux types ?

Il me souvient qu’un jour j’entendais près de moi

Un jeune homme, un enfant, à cet âge où la foi

Devrait au moins charmer le printemps de la vie,

Se faire vanité de cette théorie.

Dans son méchant discours rien n’était épargné,

Et chacun de sourire : « Ah ! lui dis-je, indigné,

Si la vertu pour vous n’est plus qu’une chimère,

Avant de prononcer, songez à votre mère ! »

Et le jeune imprudent, honteux d’être blâmé,

Rougit et s’arrêta par ce mot désarmé.

 

Ami, rappelle-toi notre antique poète * :

Hélas, à la nature elle a payé sa dette,

La mort impartiale aux ordres du destin

Soumet aveuglement son implacable main.

Mais quand le temps vainqueur aura séché tes larmes,

Si le monde à tes yeux faisait briller ses charmes,

Cherche ce doux trésor que jadis à ton Dieu

Ton âme a demandé dans un sublime vœu,

Un cœur où tu viendras épancher ta tristesse,

Un cœur rempli pour toi d’estime et de tendresse.

Là seulement, ami, ce triste souvenir

Lentement fera place aux rêves d’avenir,

Dans la paix du foyer tu sentiras ton âme

S’exalter au contact de l’amour d’une femme,

Et quand de beaux enfants se jouant dans tes bras

Souriront à ta voix, tu leur enseigneras

Que le bien-le plus sûr de l’homme sur la terre

C’est cet être adoré qu’il appelle sa mère,

Tu leur diras aussi que l’amour maternel

Des maux les plus amers peut adoucir le fiel,

Qu’en ces jours de douleur, maudits de la fortune,

Sa voix sait écarter la tristesse importune,

Et qu’un baiser de mère en dilatant nos cœurs

Des dangers les plus grands nous fait sortir vainqueurs.

 

 

CHAMPLY.

 

Paru dans La Tribune lyrique populaire en 1860.

 

 

* Malherbe.

 

 

 

 

 

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