À l’Helvétie

 

 

Inspire-moi des vers dignes de toi, patrie,

Grandioses et purs comme tes pics déserts,

Riants et colorés comme la rêverie

Qui s’empare de nous sur tes alpages verts !

 

Le temps s’est écoulé, jetant son ombre immense

Sur les siècles tombés au gouffre du néant

Et dont le cours nouveau sans cesse recommence,

Brisant les nations sous son pas de géant ;

 

Il n’a pu renverser tes cimes immobiles ;

Elles sont toujours là, blanches, dans le ciel bleu,

Pareilles à des sœurs aux cœurs fiers et tranquilles,

Montant dans l’infini pour s’approcher de Dieu.

 

Il n’a fait qu’effleurer tes lacs aux flots limpides ;

Tu leur souris toujours de tes sommets altiers,

Qui se mirent, parés d’auréoles humides,

Dans l’onde harmonieuse expirant à tes pieds.

 

Il n’a rien su changer à tes verts pâturages

Où l’on voit les troupeaux passer en liberté,

Réveillant les échos des agrestes alpages

Par leurs cloches au son maintes fois répété.

 

Et les pâtres joyeux errant dans la prairie,

De leurs voix aux accents fiers et mélodieux

Redisent un vieil air tout plein de rêveries,

Qui se perd en montant dans l’infini des cieux...

 

Rien n’a changé !... Pourtant, si tu restes la même,

Tous ceux qui t’ont reprise aux pouvoirs ennemis

Ont un jour de la mort suivi l’appel suprême...

À l’ombre de tes monts, ils se sont endormis ;

 

Et nul homme ici-bas ne connait plus leur tombe ;

Pour beaucoup le trépas est devenu l’oubli,

Comme la feuille, hélas ! qui se fane et qui tombe

Et que le vent du nord dans l’ombre ensevelit...

 

Ce qu’ils ont fait pour toi, l’âme calme et sereine,

Le ferions-nous encore, empressés et nombreux,

Sans craindre la souffrance et sans compter la peine,

Comme, aux jours d’autrefois, tous ces fidèles pieux ?

 

Toi que l’on voit toujours, le front dans la lumière,

Saluant avant tous le soleil au matin,

Et qui restes pensive et grave la dernière

À le voir s’éloigner dans le rouge lointain,

 

Ah ! donne-nous des cœurs aussi grands que tes cimes,

Aussi purs que la neige au flanc de tes glaciers,

Et fais renaître en nous les dévoûments sublimes,

Les vertus de ces jours par nous trop oubliés !

 

Rends-nous un peuple fort, un peuple saint et juste

Et jaloux d’obéir à ton premier signal,

Un peuple s’avançant dans un espoir auguste

Sur le rude chemin qui mène à l’idéal !

 

 

Juillet-août 1881.

 

 

 

Alice de CHAMBRIER,

Au-delà, La Baconnière, 1934.

 

 

 

 

 

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