L’appel de la femme et de la mère

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Henriette CHARASSON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sainte Vierge, quand je sens la force couler jour après jours de mes membres comme une eau lente,

Quand je sens ce corps, naguère élastique, tout prêt à s’effondrer, sous la fièvre qui le déguise à des tendresses vigilantes,

Je ne puis point ne pas regarder vers le tunnel de la mort et demander : « Est-ce que c’est pour bientôt ? »

Quand il faudra partir dans le convoi sinistre et pénétrer comme un petit train solitaire, sous la voûte d’où nul ne ressort,

Je ne protesterai sans doute point, vous savez bien, ma Mère, que je n’ai guère été des cœurs où la révolte éclate,

Et je n’avais pas beaucoup de mérite, n’ayant pas beaucoup à lutter pour murmurer Fiat,

Et mon épuisement parfois est tel qu’il me semble que je sourirais au repos.

S’il ne restait, sur le bord de la voie, cet homme qui ne respire pas sans moi et ces deux chers petits oiseaux.

J’ai tant appris à me résigner au destin que je pourrais pour moi, supporter qu’on m’arrache

De la vie comme on arrache à grands efforts du sol une racine à coups de pioche et de hache,

Mais j’ai mal à cette douleur des autres plus encore que j’ai mal à ma douleur,

Et c’est pour eux plus que pour moi, je crois bien, que je redoute cette heure.

Pourtant, sainte Mère Marie, je ne vous demanderai pas de détourner pour moi le cours naturel des années,

Et je n’implore pas de sursis, dès lors que le Seigneur m’aura à la mort condamnée.

Mais je vous prierai du fond de mon âme pour ces deux petits hommes laissés tout seuls à leur destin...

Si je dis que je veux bien disparaître alors qu’ils sont encore à leur matin.

Qu’au moins ce soit parce qu’ils retrouveront en vous une seconde Mère.

Ils m’oublieront, mais Vous, Marie, occupez-vous de ces petites âmes aussitôt qu’on m’enterre,

Veillez sur elles et les rendez plus saintes qu’elles n’eussent été sous ma faible loi,

Remplacez auprès d’elles la mère qui n’a plus que le couvercle d’une bière comme toit,

Essuyez aussi les larmes viriles – et, vous voyez, elle se résigne cette créature lâche,

Si elle peut compter sur vous, Marie chérie, pour accomplir sa tâche !

 

 

 

Henriette CHARASSON,

Deux petits hommes et leur mère.

 

Recueilli dans Florilège de Notre-Dame,

textes réunis par Renée Zeller,

Éditions de l’Arc, 1947.

 

 

 

 

 

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