Privilégiés

 

 

Beauté, tu n’offres pas ton charme à tout passant

Qui l’assujettirait au gré de son caprice ;

Il faut, pour te saisir, avoir versé son sang,

Et porté dans son cœur ta rouge cicatrice.

 

Les heureux d’ici-bas sentent ton abandon,

Parce qu’ils n’ont connu de toi que l’apparence ;

Te comprendre, ô Beauté souveraine, est un don

Que seuls possèdent ceux marqués par la souffrance.

 

Plus grands nous semblent ceux que frappe le malheur,

Ceux-là qui, pour t’atteindre, ont risqué la défaite :

Car toute œuvre enfantée au prix de la douleur,

Et si tu l’inspiras, est la selle parfaite.

 

Ceux-là, sacrifiés à l’ardeur de tes feux,

Et le sein tout meurtri par ta brûlante étreinte,

Restent, même vaincus, dignes d’être des dieux,

Qui moururent de toi sans exhaler de plainte.

 

 

 

Jean CHARBONNEAU.

 

Quinze ans de poésie française à travers le monde,

Anthologie internationale,

textes rassemblés par J. L. L. d’Arthey,

France Universelle, 1927.

 

 

 

 

 

 

 

 

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