Le prisonnier

 

 

Depuis vingt ans que ma tête repose

Sur l’oreiller de cet obscur réduit,

Le désespoir plisse mon front morose

Pendant le jour, pendant la sombre nuit.

Jamais, mon Dieu, la céleste lumière

                De ton soleil

Ne luira-t-elle à ma triste paupière,

                À mon réveil ?

 

Pour compagnon j’ai ma pesante chaîne.

Seul le silence écoute mes soupirs ;

Le bruit des fers qu’à mes deux pieds je traîne

Sont les témoins de mes longs repentirs.

L’endormirai-je à la fin, l’’amertume

                De ma douleur,

Et le chagrin innomé qui consume

                Mon pauvre cœur ?

 

Quelque repos vient-il à mes prunelles,

Je rêve, hélas ! mais de la liberté

Qui m’apparaît agitant ses deux ailes :

En m’éveillant cet ange a déserté.

Doit-elle encor longtemps durer ma vie

                Sous ces verroux,

Sans revoir, ô fleur de la prairie,

                Printemps si doux ?

 

Expirerai-je au fond de ces ténèbres

Sans te revoir, ma mère, une autrefois ?

N’irai-je pas, sous les cyprès funèbres,

Mon père, orner d’immortelles ta croix ?

Seigneur, je hais le crime qui me frappe :

                Il m’a coûté.

Tant de remords ! À ces coups que j’échappe,

                Dieu de bonté !

 

 

 

CORDOUAN.

 

Paru dans La France littéraire,

artistique, scientifique en 1859.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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