Les songes

 

 

 

                               .  .  .  .  .  .  Yet, thing of dust !

                 Man strive to climb the carth in his ambition,

                 Till death, the monitor that flatters not,

                 Points out the grave Where all his hopes lay.

                 

                                                                  DRYDEN.

                 

                 

                            Somnia me terrent veros imitantia casus,

                                Et vigilant sensus in mea damna mei.

                 

                                                                      TIBULLE.

 

 

 

    IL était nuit. Courbé sous le poids de mes maux,

J’enviais le bonheur et la paix des hameaux.

Sur un lit de douleurs, pressé par la souffrance,

Je voyais devant moi fuir jusqu’à l’espérance.

Rassasié de jours fertiles en tourments,

De mon cœur ulcéré comptant les battements,

Je sentais une main cruelle, inexorable,

Qui s’appesantissait, comme sur un coupable.

De funèbres accents, échos d’affreux remords,

M’entrouvraient par degrés la demeure des morts.

Je ne respirais pas ; sur ma bouche tremblante

Ruisselait à longs flots une sueur brûlante.

Je dévorais ma vie : et mes membres roidis,

Par le froid du trépas trop longtemps engourdis,

Refusaient à ma bouche une onde salutaire.

J’étais seul, malheureux, comme on est sur la terre.

 

    Fort de mon désespoir, maudissant l’Éternel,

La vie et la raison, la nature et le Ciel,

Alors j’aurais voulu voir couler dans mes veines

Le poison bienfaisant qui met fin à nos peines.

Je l’invoquais : mes yeux, qui ne pouvaient pleurer,

D’un lugubre spectacle aimaient à s’enivrer.

La beauté de la nuit, ces globes, ces étoiles

Que le Seigneur sur nous étend comme des voiles,

Ce firmament toujours racontant ses grandeurs,

Et qui du Saint des Saints proclame les splendeurs,

Le printemps qui renaît, la paisible nature

Qui verse le repos à chaque créature,

Les oiseaux dont les chants, dont les libres concerts

Ne charment que l’écho des bois et des déserts ;

Pour moi tout se taisait. Descendant en mon âme,

Je n’y retrouvais plus ce pur et saint dictame,

Ce feu consolateur, cette douce amitié

Qui fait qu’un cœur du moins partage la moitié

Des innombrables maux que prépare la vie.

Une âme seule... hélas ! le Ciel me l’a ravie !

Y songer désormais serait vous offenser ;

Pardonnez, Dieu terrible, à mon cœur d’y penser !

Mais cette affreuse nuit qui tourmenta mon être,

De me plaindre aujourd’hui m’acquit le droit peut-être.

 

    Silence ! âme blessée. Eh ! comment blasphémer

Le Dieu qui par mes pleurs se laissa désarmer ?

Il m’en souvient encor ; vaincu par la souffrance,

J’invoquais vainement un rayon d’espérance.

Épuisé, haletant, comme un cerf aux abois

Demande une onde pure et la fraîcheur des bois,

J’appelais le sommeil qui désertait ma couche.

Par instinct tout à coup, sur ma mourante bouche,

Le doux nom du Sauveur expira lentement,

Et sa divine main abrégeant mon tourment,

Enchanta mes douleurs, versa sur mes paupières

Le baume précieux qu’imploraient mes prières.

 

    Mais hélas ! ce sommeil ne dura pas longtemps.

Du bonheur des mortels on compte les instants.

Ils sont si courts qu’il est pour mon cœur un problème.

Le jour nous voit souffrir, et la nuit, la nuit même

Paye aussi son tribut de larmes et d’effroi.

Des songes... Cependant laissez-nous, laissez-moi

Ces songes, seuls plaisirs qui charment dans les ombres !

Mon cœur les aime tous... et même les plus sombres.

Ils sont plus doux encore à qui veut s’y fier,

Que ces plaisirs d’un jour qu’un jour doit expier.

Ils sont encor plus doux que la vie actuelle.

Ils n’ont point de remords ni de peine cruelle.

Les terreurs de l’enfance, et parfois ses plaisirs,

Vers cet âge innocent ramènent nos désirs.

Ils écartent parfois de notre âme assoupie

Le pouvoir infernal qui l’assiège et l’épie,

Et sur ses bords heureux que féconde le miel,

Le fleuve de la vie a réfléchi le Ciel.

 

    Le sommeil sur mes yeux reposait : j’eus un songe 1,

Dont l’effrayant tableau n’était pas tout mensonge.

Le soleil n’était plus, et dans le firmament

Les astres confondus erraient aveuglément.

Je rêvai (de nos maux la nuit est héritière)

Que je me réveillais au fond d’un Cimetière.

Minuit avait sonné. La pierre des tombeaux

D’une chair jaunissante étalait les lambeaux,

El les portes de fer de l’église tremblante

S’ouvraient, se refermaient : on eût dit que, sanglante,

Une terrible main brisait ses fondements.

La lune projetait de pâles ossements.

Des serpents étaient là. Quelques ombres livides

S’échappaient, en rampant, de leurs tombeaux avides.

Je les voyais s’enfuir, s’élever dans les airs :

Les enfants seuls dormaient dans leurs tombeaux ouverts.

 

    Quelques pâles lueurs présageaient un orage.

Le Ciel était couvert d’un sombre et lourd nuage,

Qu’un fantôme hideux avec force pressait.

Jusqu’en ses fondements l’église gémissait,

El les airs, ébranlés par des voix déchirantes,

Effrayaient la nature et les ombres errantes.

Je voulus fuir en vain ce spectacle d’horreur.

Enfin je me sentis poussé, par la terreur,

Vers le temple où déjà s’engouffraient les coupables.

Deux Basilics gardaient ses portes redoutables.

 

    Inconnu, j’avançai dans la foule des morts,

Sur qui le sceau des ans pesait comme un remords.

Vers l’autel dépouillé, ces ombres en silence

Se pressaient, comme au jour de la juste vengeance.

Un mort, qui depuis peu dormait dans le cercueil,

Reposait seulement sous son pâle linceul.

Sur ses traits, du trépas on lisait le passage.

Un songe heureux faisait sourire son visage.

Un vivant s’approcha : tout à coup il frémit,

Le souris disparaît, sa poitrine gémit,

Un long et triste effort entrouvre sa paupière ;

Ses yeux étaient voilés d’une horrible poussière ;

Une large blessure a remplacé son cœur.

Il veut mêler sa voix dans le céleste chœur,

Et pour prier encor ses mains se sont levées.

Il voudrait les unir ; mais de force privées,

Elles tombent bientôt ; et par d’autres efforts,

Ses bras, ses bras tremblants se détachent du corps.

 

    Mais un autre spectacle à ma terreur ajoute :

Un feu sombre l’éclaire : au plus haut de la voûte,

Un fer sanglant brillait sur le cœur du tyran,

Et de l’Éternité l’on voyait le cadran.

Point de chiffre, d’aiguille : une main décharnée

Sur l’homme, sa victime, à jamais acharnée,

Lentement parcourait ses cercles trop constants,

Et les morts s’efforçaient d’y calculer le temps.

 

    Des hauts lieux tout à coup sur l’autel qu’on adjure,

Descendit une noble, une sainte figure.

L’éternelle douleur l’enveloppait encor,

Et son bras supportait la croix, son seul trésor.

Pleurant comme au Calvaire, il s’avance : à sa vue,

Les morts ont tressailli d’une joie imprévue.

L’espérance avec lui pénètre dans ce lieu.

Ils s’écriaient : « Ô Christ, n’est-il donc pas de Dieu ? »

Et le Christ répondit : « Il n’en est point ». Les ombres

Se prirent à trembler dans leurs demeures sombres ;

Et l’homme souriant d’un sourire infernal,

Chanta l’hymne funèbre au sanglant Dieu du mal.

 

    Le Christ continua : « J’ai parcouru les mondes,

« Je me suis enfoncé dans le gouffre des ondes ;

» Par-dessus les soleils mon vol s’est élevé,

» Dieu n’existait point là ! Sur la foudre enlevé

» J’ai vu de l’Univers les dernières limites,

» J’ai brisé de la mort les portes interdites,

» J’ai plongé dans l’abîme, et me suis écrié :

» Ô père, existez-vous ? En vain ai-je prié,

» En vain ai-je invoqué l’espoir qui vous appuie ;

» Je n’entendais toujours et toujours que la pluie,

» Qui tombait goutte à goutte en l’abîme éperdu.

» L’éternelle douleur a seule répondu.

» Relevant mes regards vers la voûte céleste,

» Je n’ai vu qu’un orbite et sans fonds et funeste,

» Refusant au malheur l’asile du repos.

» La seule Éternité dormait sur le chaos,

» Le rongeait, et soudain se rongeait elle-même !

» Redoublez, redoublez les plaintes, le blasphème !

» Que des cris déchirants dispersent les mortels,

» C’en est fait !... » À ces mots, autour des saints autels,

On voit s’évanouir les ombres entassées,

Telles que ces vapeurs par le froid condensées.

Le temple fut bientôt désert, silencieux.

 

    Tout à coup les enfants, tableau mystérieux !

Les enfants qui s’étaient réveillés dans la poudre,

Jusqu’au pied de l’autel courent se faire absoudre !

Devant la majesté de celui qui priait,

Ils se sont prosternés, et l’un d’eux s’écriait :

« Si le crime est puni, que l’innocence espère !

» Jésus ! ô bon Jésus ! n’avons-nous pas de père ? »

Et Jésus répondit avec de longs sanglots ;

« Nous sommes orphelins, vous, moi, tous. » À ces mots,

Le temple, les autels, les enfants s’abîmèrent.

Du Ciel épouvanté les feux les consumèrent.

Le monde s’écroula dans son immensité,

Et sur ses noirs débris régna l’Éternité.

 

    Le songe disparut. Un autre lui succède ;

La terreur, le silence, et la mort le précède.

 

    Sur un globe abreuvé d’amertume et de fiel,

Dans un nuage d’or, le Seigneur, Roi du Ciel,

Promène ses regards et dirige sa course.

Les fleuves débordés remontent à leur source,

Et le sol ébranlé jusqu’en ses fondements,

Agite de ses morts les affreux ossements ;

Soulève en bouillonnant les cendres exécrables

De ces Dieux dont Adam fit autant de coupables.

En traversant les airs, dans son vol irrité,

Dieu s’arrête un moment près d’un globe habité

Par des êtres portant nos traits, notre figure,

Mais distingués de nous par une autre nature.

Ils étaient innocents, ils étaient immortels ;

Le Ciel était leur temple, et leurs cœurs, des autels.

La force et la beauté d’une mâle jeunesse

Resplendissaient encor sur la sainte vieillesse

De l’heureux premier-né, père de l’Univers,

Qui ne connut jamais les remords, les revers.

Que de siècles pourtant ont passé sur sa tête !

Mais sa vie est un jour d’innocence et de fête.

Le poids des ans, des pleurs, n’affaiblit point ses yeux.

Aussi frais, aussi beau que ses derniers neveux,

Il s’entend appeler de ce doux nom de père.

 

    À sa droite paraît son épouse, la mère

De tout ce genre humain, noble postérité,

Qui chante son bonheur et sa fécondité.

À tous ses descendants elle semble sourire.

Ses traits brillent encor de charmes qu’on admire,

Des charmes dont l’orna la main du Créateur,

Lorsque des Cieux ravis abaissant la hauteur,

Dans les bras d’un époux il conduit l’immortelle.

À sa gauche est son fils, son image fidèle.

Autour d’eux dispersés dans de riants vallons,

Les enfants de ses fils, formés par ses leçons,

S’instruisent aux vertus, à la reconnaissance.

Les mères, bénissant le jour de leur naissance,

Lui portent leurs enfants dans leurs bras maternels.

Il couvre le berceau de ses vœux paternels.

Ce spectacle sublime avait ému son âme.

 

    Levant ses yeux au ciel, sur des ailes de flamme,

Précédé de la foudre, environné d’éclairs,

Il aperçoit son Dieu qui traverse les airs.

À sa vue, il s’écrie : « Adorez votre maître,

» Enfants, prosternez-vous ! C’est lui qui vous fit naître !

» Voilà, voilà celui qui vous a créés tous,

» Qui répand dans nos champs les parfums les plus doux,

» Qui couronne les monts de nuages sublimes,

» Et couvre de ses fleurs nos vallons, nos abîmes.

» Mais il n’a point donné comme à vous, à ces monts,

» Mais il n’a point donné, comme à vous, aux vallons,

» Et cette âme immortelle et la forme brillante

» Dont il a revêtu votre chair innocente.

» Il ne leur donna point ce visage enchanteur,

» Ce front majestueux où se peint tout un cœur,

» Ni ces regards brûlants qu’anime la jeunesse,

» D’où partent des rayons de joie et de tendresse,

» Lorsque la créature, ivre de son bonheur,

» Les porte en souriant jusqu’à son créateur ;

« Ni ce souffle divin, cette voix admirable

» Qui chante ses bienfaits, sa gloire impérissable ;

» Ni ce cœur que l’amour a seul droit d’enflammer,

» Ni ce cœur qu’il créa pour croire et pour aimer.

 

    » C’est lui qui m’a tiré du sein de celle terre !

» En la formant, sa main m’unit à votre mère.

» Ô vous, les seuls témoins de tous mes premiers vœux,

» Vous qui vîtes jadis ces miracles heureux,

» Un dieu s’est reposé sous votre épais ombrage,

» Parlez, Cèdres, parlez : vous êtes son ouvrage !

» Torrent impétueux, l’effroi des matelots,

» Suspends ton cours ! il s’est élancé sur tes flots.

» Et vous, jeunes Zéphyrs, amour de la nature,

» Célébrez sa bonté par un tendre murmure !

» Reprenez aujourd’hui les suaves concerts

» Que j’entendis le jour qu’il peupla ces déserts !

 

    » Ne tourne plus, ô terre, et demeure immobile,

» Comme lorsqu’il passa sur ton globe fragile,

» Comme lorsqu’autrefois les astres, en naissant,

» Vinrent se réunir sous son bras tout-puissant,

» Qu’il pesa le soleil, qu’il compta les étoiles,

» Et sut orner la nuit de ses augustes voiles.

» Oserai-je porter mes regards jusqu’à toi ?

» Éternel, ô mon père, ordonne, que ta loi

» Chasse l’obscurité, la nuit qui t’environne.

» En voyant ta fureur, un immortel frissonne.

» Hélas ! que deviendront les malheureux humains,

» Contre qui ton courroux te met la foudre en mains ?

» Pour changer tout à coup ta clémence en colère,

» Les mortels ont lassé le bras qui les tolère :

» Nous, nous t’aimons toujours ; mais, dans un autre lieu,

» Un peuple de pécheurs à-t-il blasphémé Dieu ?

» Se sont-ils soulevés contre toi... la pensée

» Fait frissonner d’horreur mon âme courroucée.

» Apprenez, il le faut, un terrible secret :

» De mon cœur, mes enfants, il s’échappe à regret.

» Je vous l’avais caché, craignant qu’un tel mystère

» Ne troublât le bonheur dont jouit cette terre.

 

    » Loin, bien loin du séjour de la félicité,

» Il est un autre globe, un séjour habité

» Par une race, en tout, à la nôtre semblable.

» Elle a les mêmes traits, mais elle fut coupable.

» Ces hommes ont flétri l’image du Seigneur.

» Immortels, ils se sont dévoués au malheur.

» Vous ne concevez pas, vous, mes enfants, peut-être,

» (Et j’en bénis le Ciel) comment un homme, un être,

» Immortel en naissant, chef-d’œuvre de son Dieu,

» À l’immortalité peut dire un long adieu ?

» Ce n’est pas cependant l’esprit qui les anime ;

» Non, ce n’est pas ce souffle et divin et sublime

» Qui se trouve sujet de la mort, du néant.

» L’Éternel lui donna la vie en le créant.

» C’est leur corps seul, de l’âme enveloppe grossière,

» Et ce je ne sais quoi se dissipe en poussière,

» Dont les vers du cercueil aiment à se nourrir :

» Voilà ce qu’en ce monde on appelle mourir !

 

    » Leur esprit dégradé de sa belle innocence,

» S’échappe : au Tribunal de la Toute-Puissance

» Il porte des forfaits et parfois un remord.

» Mais fuis, fuis loin de nous, affreux penser de mort...

» Mourir !... À cette idée, oui, mon âme immortelle

» Frémit... Et cependant est-elle criminelle ?

» L’œil d’un homme mourant, dans ses vœux superflus,

» Erre stupidement, se brise et ne voit plus.

» La nature, le Ciel et la terre féconde

» Soudain rentrent pour lui dans une nuit profonde,

» Il n’entend déjà plus les sourds gémissements

» D’un ami qui l’étouffe en ses embrassements.

» Il entrouvre sa bouche, elle reste muette.

» Sa langue, de son cœur infidèle interprète,

» À peine peut encore, en sons laborieux,

» Bégayer les derniers et les tristes adieux.

» Sa poitrine avec force et s’élève et s’abaisse.

» Sa tête languissante avec peine s’affaisse ;

» Et ses bras engourdis qui trahissent ses vœux

» Retombent tristement : son visage hideux

» D’une infecte sueur, à chaque instant, se couvre.

» Il voudrait respirer : sa paupière s’entrouvre ;

» Pour battre encor, son cœur fuit un dernier effort,

» Il devient insensible, il cesse... l’homme est mort !

 

    » La fille expire ainsi sur le sein de sa mère.

» À la fleur de ses ans, sous les yeux de son père,

» Le jeune homme fléchit sous le poids des douleurs,

» Et le père et la mère et les consolateurs,

» Les appuis de leurs fils, tout disparaît, tout tombe,

» Et court, en sanglotant, se perdre dans la tombe.

» Céleste sentiment, image du bonheur

» Dont l’homme était comblé, sous un ciel enchanteur,

» L’amour seul est resté : mais, imparfaite image,

» De cet amour que Dieu nous lègue en héritage.

» Sur ce globe maudit, quelques cœurs vertueux

» Le goûtent cependant. Il ne les rend heureux

» Qu’un moment ; c’est assez. Un moment ! puis ils meurent.

» Le même sort attend les amis qui les pleurent. »

 

    De sa famille en deuil les plaintes, les sanglots

Interrompent soudain le vieillard, à ces mots.

Contre son sein tremblant, une mère en alarmes,

Serrait son jeune fils qu’elle arrosait de larmes.

Les enfants embrassaient les genoux du vieillard.

Les pères, autour deux, d’un timide regard,

Frémissants, contemplaient ce spectacle funeste.

Le jeune époux pressait son épouse céleste,

Dont le cœur agité, dont le sein haletant

Frappait contre le sein de l’époux palpitant...

 

    Mais tout à coup le chef de la sainte famille

Se ranime : son front d’immortalité brille.

Il descend dans son cœur. Il n’a point de remords.

L’innocence le rend à ses premiers transports.

Soutenant dans ses bras son épouse chérie,

Il calme ses douleurs, la console et s’écrie :

« C’est peut-être contre eux que Dieu marche en courroux !

» Peut-être descend-il pour les dévorer tous ?

» Ah ! sans doute, ils auront irrité sa justice,

» Qui punit en pleurant jusqu’à l’ombre du vice.

» Du sein béni d’Éden, sur la terre exilés,

» Par ses foudres déjà vous êtes mutilés.

» Comme nous, autrefois immortels, ô nos frères,

» Vous ignorez combien vos âmes nous sont chères ?

» Vous ne connaissez point les poignantes douleurs

» Que nous font ressentir vos trop justes malheurs.

» Si vous les connaissiez, vous n’auriez pas peut-être

» À descendre du Ciel forcé votre bon maître.

» Ah ! si jamais le sol par vos pleurs fécondé

» Devenait le tombeau d’un peuple dégradé,

» Si jamais, se faisant un rempart de vos crimes,

» Dieu vous précipitait au fond des noirs abîmes,

» Nous pleurerions ici nos frères malheureux ;

» Nous porterions souvent nos regards et nos vœux

» Vers la terre maudite où vos cendres reposent.

» Le Seigneur l’a frappée, et vos larmes l’arrosent.

 

    » Les Anges, qui parfois daignent nous visiter,

» Nous patient de celui qui veut vous racheter.

» Un jour, nous disent-ils, pleins d’une sainte envie,

» Ces morts s’éveilleront pour la nouvelle vie.

» Sur les pas du Messie ils viendront se ranger.

» Mon père, veux-tu donc, en ce jour, te venger ?

» Et juger, sans ton Christ, cette coupable race ?

 

    » Mais de moi l’Éternel a détourné sa face !

» Il descend vers la terre, encor plus irrité.

» Grand Dieu ! tes jugements sont pleins de vérité !

» Tes pensers ne sont point les pensers du vulgaire.

» Je ne veux point porter un regard téméraire

» Dans les conseils d’où l’homme est à jamais banni ;

» Mais celui qui, d’un mot, a créé l’infini,

» S’il est saint, s’il est juste, est aussi notre père.

» L’innocence en toi seul, le crime même espère.

» Gloire à toi ! Tu peux tout ! Gloire à jamais à toi !

» Immortels, nous chantons, nous adorons ta loi.

» Les hommes que la mort couche dans la poussière,

» Pour t’adorer encor soulèvent cette pierre,

» Où de l’éternité s’apprennent les secrets.

» Les Anges, plus heureux, t’adorent sans regrets ;

» Et prosternés aux pieds de ton trône immuable,

» Ils peuvent t’implorer pour un monde coupable ».

Il se lut, et ses yeux brûlants de charité

Suivirent du Seigneur la sainte majesté.

 

    Le songe disparut. Un autre lui succède ;

La volupté, les pleurs, le remord le précède.

Non loin de la Cité, reine de l’Univers,

Et près du doux rivage, où caressant les mers,

Par des chaînes de fleurs, la belle Parthénope 2

S’unit, en souriant, au reste de l’Europe ;

Voyageur inconnu, j’errais sur des débris.

D’un éclair de bonheur mon cœur était surpris.

J’avais abandonné les campagnes stériles,

La vaste solitude et les déserts tranquilles

Dont Rome s’entoura, comme d’un vêtement.

Mes yeux apercevaient, dans leur ravissement,

L’arbre qui, signalant les fruits de la culture,

Semble enfin terminer le deuil de la nature.

 

    Ici tout est riant : ces lieux sont embaumés.

Ces rivages bordés d’orangers parfumés ;

Ces monts où le soleil, d’une vive étincelle,

Fait resplendir sans cesse une neige éternelle ;

Pausilipe, Capoue, et ces bois séducteurs

Où l’heureuse vertu repose sur des fleurs ;

Ce Vésuve assoupi, la Baie enchanteresse

Que Properce interdit à sa jeune maîtresse ;

Ces brises du matin qui, comme un char léger,

Passent sur le sommet du fertile oranger ;

Ce sol virgilien, ce ciel mythologique,

Tout offre aux yeux ravis un spectacle magique.

 

    Plus loin, l’heureuse Naple et ses riants coteaux,

Que pare le printemps, qu’embellissent les eaux,

Couvrent de leurs trésors les débris de la Grèce.

Au milieu des volcans, brillante de jeunesse,

Du sein jaloux des flots, comme une déité,

Elle accourt prodiguer sa féconde beauté.

D’Herculanum détruit la cendre encor fumante,

Vomit par intervalle une mort alarmante ;

Parthénope sourit à ces feux destructeurs ;

Aux laves du Vésuve elle oppose ses fleurs,

Et bravant le destin des villes englouties,

Jette sur son tombeau l’émail de ses prairies.

 

    Dans ces lieux que féconde un soleil généreux,

Qu’un éternel printemps couronne de doux feux,

Au milieu de ces fleurs, de ces bosquets de rose,

De mes tourments passés mon âme se repose.

Un calme inespéré, calme délicieux,

Inonde tout mon cœur, comme un bienfait des cieux.

 

    Ah ! que les airs sont doux, que la lumière est pure !

Je voudrais m’emparer de toute la nature.

De ses parfums du soir que j’aime à m’enivrer !

Après tant de tourments, je puis donc respirer !

Arbustes, fleurs, oiseaux, que mon cœur vous admire !

Le malheur disparaît ; vous semblez me sourire ;

Et le vent du malin et la brise des nuits,

Comme un baume céleste, enchante mes ennuis.

Enfin j’étais heureux, je bénissais la vie,

Et mes sens agités et mon âme ravie

D’un aussi cher plaisir savouraient la douceur.

Une âme sort soudain des mains du Créateur.

Par des hymnes de joie et de reconnaissance,

La jeunesse du Ciel célèbre sa naissance,

Et jusqu’au pied du trône où palpitent les Saints,

Vient doucement mourir la voix des Séraphins.

 

     « Au sortir du néant, salut, âme immortelle !

» Prends ton vol à la voix de celui qui t’appelle.

» Fille de l’Éternel, pour toi le jour a lui.

» Belle comme l’Archange, et tendre comme lui,

» De toi bientôt naîtront les plus nobles pensées.

» Comme les gouttes d’eau par l’aurore versées,

» Qui viennent rafraîchir nos sillons altérés,

» Elles consoleront les mortels ulcérés.

» Ton cœur fait pour aimer, que l’amour alimente,

» Semblable à la liqueur qui s’agite et fermente,

» Se répand hors du vase et découle à pleins bords,

» Ton cœur va se répandre en généreux transports.

» Viens, d’un céleste souffle, ô toi, fille émanée,

» Des dons les plus heureux et d’innocence ornée,

» Viens, nous te conduirons jusques au corps mortel,

» Que tes vertus bientôt changeront en autel.

 

    » Prodigue de ses dons, l’attentive nature

» Travaille à l’embellir d’une beauté future.

» Tes vertus se peindront dans l’azur de tes yeux,

» Et tu viendras puiser leur force dans les Cieux.

» Ton corps sera parfait : mais, un jour, celte argile,

» Ouvrage précieux et pourtant si fragile,

» Glissant dans la poussière, à côté des pervers,

» Se verra, malgré nous, la pâture des vers.

» Alors, un jour viendra... Les trompettes sacrées

» Éveilleront des morts les cendres ignorées ;

» Un juge incorruptible, un père, un Dieu vengeur ;

» Cette affreuse pensée a troublé notre cœur... »

 

    Et des pleurs tout à coup sillonnent leur visage,

Ils ont de l’avenir percé l’affreux nuage ;

Ils ont vu les malheurs de l’homme corrompu,

Et par des pleurs de sang l’hymne est interrompu.

 

    Les cheveux couronnés de roses passagères,

Et suivant du plaisir les routes mensongères,

Dans ces champs fortunés un jeune homme apparaît.

De l’innocence encor c’est le vivant portrait.

Auprès de lui brillait une autre créature.

Ses yeux toujours errants contemplaient la nature,

Les objets que ses pas foulent sous le gazon,

Le printemps qui renaît, les feux de l’horizon.

Le jeune homme pleurait et ne regardait qu’elle.

À ses yeux enivrés, ah ! qu’elle était plus belle !

Jusqu’à ce qu’il ne pût l’effacer de son cœur,

Il avait dévoré son visage enchanteur ;

Son souffle était le sien, sa voix était la sienne,

Sa voix qui surpassait la harpe éolienne.

Il ne lui parlait pas, pour mieux la contempler ;

Mais un son de sa voix le faisait tout trembler.

Il avait cessé d’être et de vivre en lui-même.

Ses yeux ne fixent plus que la beauté qu’il aime ;

Elle est son Dieu, sa vie et l’immense Océan,

Où viennent de son cœur se perdre chaque élan.

 

    Je les suivais des yeux à travers la campagne.

Ils gravissaient alors une douce montagne.

Son sommet couronné de l’immortel palmier,

Renvoyait aux échos les accents du ramier.

À ses pieds reposait la mer silencieuse ;

Seulement, des oiseaux la voix mélodieuse

Interrompait parfois le calme, le repos

Qui régnaient sur la terre et dominaient les flots.

Les bras entrelacés, le couple heureux s’avance :

La volupté le suit, et l’amour le devance.

 

    C’était l’heure où, dardant ses rayons orageux,

Le soleil embrasait et la terre et les Cieux.

Sur les brûlants rochers, qu’une mer mugissante

Commençait à couvrir d’une écume naissante,

On découvrait déjà les tremblants laboureurs,

Qui fuyaient de Typhon les lugubres fureurs.

L’horizon se chargeait d’une vapeur plus sombre,

Et le jour pâlissant avait fait place à l’ombre.

Déjà le Ciel voilé, fermé de toutes parts,

N’offrait que de la flamme aux timides regards.

Terrible précurseur de ces prochains ravages,

Le vent qui, sur son aile, apporte les orages,

Touche, flétrit, dessèche et les fruits et les fleurs ;

Son souffle empoisonné fait naître les douleurs.

Mais d’un sublime effroi la terre, hélas ! frappée,

Comprime encor les feux qui l’ont enveloppée.

Dans les flancs caverneux de l’effroyable mont,

Un bruit sourd retentit. La terre lui répond.

On eût dit que soudain, pour briser ses entrailles,

Le salpêtre enflammait le bronze des batailles,

Alimentait l’ardeur de ses feux souterrains,

Ou que, tombés du Ciel, cent tonnerres lointains,

Se heurtant au hasard dans le gouffre qui tremble,

Se pressaient, se fuyaient, s’entrechoquaient ensemble.

 

    Tout à coup s’élançant, couvrant les vastes mers,

Le feu se précipite, il menace les airs.

Et comme un lionceau secouant la poussière,

Dont un premier combat a souillé sa crinière,

Le feu tombe, s’élève et vomit par torrents

Des cendres, des débris, des rochers dévorants.

Enfin il a rompu ses dernières entraves ;

Dans les champs, sur les eaux, le gouffre étend ses laves ;

Il consume, il détruit, et toujours grandissant,

Éclaire les horreurs qu’il enfante en passant.

 

    À la sombre lueur que jette l’incendie,

Le vieil Etna frémit sous sa cendre attiédie.

Son cratère assoupi, que la ronce a couvert,

Comme un tombeau scellé ne s’est point entrouvert.

Mais sous les flots émus qui tous deux les séparent,

Ses longs mugissements se répètent, s’égarent ;

Et d’échos en échos, jusqu’à l’autre volcan,

Fout passer la terreur qui trouble l’Océan.

 

    Le jeune homme penché sur l’épaule charmante

De celle qu’entraîna l’amour qui le tourmente,

Voudrait, des passions, ô terribles effets !

Outrager l’Éternel par de nouveaux forfaits.

Sous ses pieds frémissants il n’entend pas l’abîme.

Tout son être frissonne ;... il invoque le crime.

Les Anges éperdus se voilent de terreur.

La terre épouvantée a tressailli d’horreur.

Du Vésuve en repos une flamme livide

Sort : vers le couple impie un Dieu vengeur la guide.

Elle s’étend : soudain partent de faibles cris.

Tout se tait : je ne vois que d’informes débris.

 

    Le songe disparut : un autre lui succède ;

Le saint ravissement des élus le précède.

 

    Plus brillant et plus prompt que l’astre du matin,

Mon œil a traversé l’horizon incertain.

J’ai déjà parcouru l’espace circulaire

Où des soleils sans nombre est le feu tutélaire.

Leurs rayons confondus forment dans un ciel pur,

Comme un voile tissu de lumière et d’azur.

Planètes, univers, tout ce qui l’environne

Ne pourrait soutenir la brûlante couronne,

Le regard destructeur de ce Ciel enflammé.

De ce lieu, d’univers, de globes parsemé,

À peine aperçoit-on cette terre grossière.

Elle ne paraît plus que, comme la poussière

Qui des vents déchaînés suit l’aveugle fureur,

Tourbillonne et retombe aux pieds du voyageur.

 

    Sur ces paisibles monts où se lève l’aurore,

Les pas de l’Éternel sont imprimés encore.

Ces forêts qu’agitait un doux frémissement,

La présence de Dieu laissant le Firmament,

Ces vallons fortunés où l’élite des Anges

Venait du Créateur célébrer les louanges ;

Ces bosquets par l’amour transformés en autel,

Où l’homme triomphait de se voir immortel,

Où, le cœur palpitant de joie et d’innocence,

Il répandait les pleurs de la reconnaissance,

Tout est là. De ce lieu le bonheur s’est accru...

Celui qui l’habitait en a seul disparu.

 

    Vers un nouvel Éden mon âme est attirée.

Je suis en soupirant cette route sacrée,

Et j’entrevois de loin l’Éternel et les Cieux.

Au centre éblouissant des soleils radieux

S’élève un globe immense, étonnant assemblage,

De tout monde créé désespérante image.

Les Anges absorbés, perdus dans leur bonheur,

De ses perfections bénissent le Seigneur.

Sur son trône où des Saints se gravent les victoires,

Il sourit à ces chants qui célèbrent ses gloires ;

Comme quand l’Univers s’échappa de sa main,

Un mouvement de joie a fait bondir son sein.

 

     « Admirable séjour rempli de sa puissance,

Répétaient tous les cœurs qu’enivrait sa présence,

» Le Très-Haut, tel qu’il fut, qu’il est ou qu’il sera,

» À nos yeux éblouis toujours se montrera.

» Pour cacher ses grandeurs plus de Ciel, ni d’Étoiles !

» Ici nous contemplons le Très-Heureux sans voiles.

» Au milieu des Élus qu’il est grand et parfait !

» Chaque fois qu’il respire, il enfante un bienfait.

» Les Chérubins tremblants, sous ton trône adorable,

» Appellent Jéhovah, le Dieu saint, ineffable.

» Dans les divins concerts qu’éternisent nos voix,

» Nous avons salué ton céleste pavois.

» Nos cœurs, pour t’adresser un plus sublime hommage,

» En vain, dans tes chefs-d’œuvre, ont cherché ton image.

» Tes pensers absorbés, sur ton éternité,

» À peine peuvent-ils, de ta divinité

» Concevoir le mystère et sonder le problème.

» Dieu, les perfections n’existent qu’en toi-même !

» Heureux de tes pensers, ton bonheur fait ta loi.

» Tu voulus voir pourtant des êtres hors de toi.

» Un geste, un signe, un mot, sur la terre ravie,

» Fit descendre aussitôt le souffle de la vie.

» Tu parles : à ta voix s’étendent mille cieux,

» Tu parles : pour t’aimer nous naissons radieux ;

» Tu parles : du néant nous rompons le silence.

» Vous ne partagiez point encor notre existence,

» Vous, astres, toi, soleil, toi, lune, heureux flambeaux,

» Qui des mondes surpris éclairez les berceaux !

 

    » De la création, toi, le premier ouvrage,

» Ciel, réponds ? Au sortir du néant, ton partage,

» Quand du Seigneur, après toute une éternité,

» Reposa dans ton sein la triple majesté,

» Qu’éprouvas-tu ? réponds ? ton globe solitaire

» N’avait pas encor pris sa forme héréditaire,

» Et la voix créatrice, en peuplant les déserts,

» Se mêlait seule encore aux mugissantes mers.

» L’un sur l’autre entassés, semblables à des mondes,

» Les rochers où déjà venaient battre les ondes,

» Lorsque Dieu leur parla, tressaillirent trois fois ;

» Mais aucun immortel n’entendit cette voix.

 

    » Alors, ô Créateur, seul et toujours sublime,

» De ton amour pour nous tu mesuras l’abîme,

» Et tu te contemplas au trône éblouissant

» Que ta main élevait à ton nom tout-puissant.

» Ah ! volez au-devant du Roi de la nature,

» Archanges, Séraphins, homme, sa créature,

» Vous, célestes esprits qu’il produisit alors,

» Vous qui de l’harmonie inspirez les accords.

» Que des chants solennels, chants de reconnaissance,

» Proclament ses bienfaits, bénissent sa puissance !

» Toujours auprès d’un père un fils est agréé,

» Salut, principe et fin de tout être créé !

» Tu disais au néant : ne sois plus ! il t’écoule.

» Aux cieux ; étendez-vous ! une céleste voûte,

» Comme un voile d’azur, couronne l’univers.

» Gloire à toi ! Ce mot seul termine nos concerts. »

 

    Au moment où du ciel les heureuses milices

Palpitaient du bonheur, s’enivraient des délices,

Dont les comble un regard du seul Être éternel,

Regard applaudissant à leur chant solennel,

Par un coup de tonnerre il déchire la nue

Qui dérobait encor sa présence à ma vue.

Je l’adore, immobile et prosterné longtemps.

Avant qu’un cœur mortel peigne mes sentiments,

Mon bonheur, mes transports si sublimes, si tendres,

Les mondes périront, renaîtront de leurs cendres ;

Des siècles infinis, l’un sur l’autre entassés,

S’écouleront ainsi que les siècles passés.

Que j’étais bien payé de ma longue souffrance !

Dans les trésors de Dieu je puisais l’espérance.

Je ne voyais que lui : plus de larmes ! mon cœur

Goûtait du ciel surpris l’ineffable douceur,

Et pour chanter son nom, j’osais, dans mon délire,

Aux pieds de Jéhovah, faire vibrer ma lyre.

 

     « Ô source de ma vie ! Éternel, que je vois,

» Pardonne à mon audace, et que ma faible voix

» Puisse enfin, dans les cieux, bégayer les louanges !

» Une bouche mortelle ose, avec les Archanges,

» Célébrer, en tremblant, ce nom, ce nom sacré,

» Par le Ciel, par les Saints, par la terre adoré.

» Ta gloire, tes splendeurs, les Anges les publient.

» À ton nom, cependant, les Anges s’humilient.

» Il règne dans mon cœur comblé de tes bienfaits.

» Il y répand sans cesse une divine paix.

» Par un charme puissant, il calme les orages,

» Et de mes passions dissipe les nuages.

» Ah ! tout est oublié ! Le monde et ses plaisirs

» Ne sont plus à mes yeux que d’amers souvenirs ;

» Gloire, fortune, honneur, chimère évanouie,

» Un Être règne seul sur mon âme éblouie. »

 

    Durera-t-il longtemps ce calme inespéré !

Et cet affreux bonheur, dont je fus enivré,

Ne viendra-t-il jamais accabler ma pensée ?

De désirs, de tourments mon âme est oppressée.

En vain d’un faible vol, prend-elle son essor ?

Sur la fange terrestre elle retombe encor.

Mais le Juste connaît la fragile matière ;

Il sait qu’un cœur mortel n’est qu’un peu de poussière.

Sur des yeux suppliants et tournés vers le Ciel,

Sa grâce sait verser quelques rayons de miel.

Le langage muet d’une larme sincère,

Et les soupirs d’un cœur déplorant sa misère,

Sont un encens bien doux qui monte jusqu’à lui.

 

     « Ô Dieu, tels sont les vœux que je t’offre aujourd’hui.

» Si de la volupté la main trop caressante

» Fait palpiter encor mon âme languissante ;

» Si l’abîme pour moi se couronne de fleurs,

» Si j’erre, sans amis, dans un vallon de pleurs,

» Où les ronces, l’épine à mes pas attachée,

» Embarrassent souvent ma course relâchée,

» Ah ! que mon cœur soumis puisse adorer ta loi,

» De son bonheur futur se reposer sur toi !

» Puissé-je contempler d’un œil d’indifférence

» Les fureurs du destin, les maux de l’existence !

» Et résigné sans cesse à la vie, à la mort,

» Entre les bras de Dieu remettre tout mon sort !

 

    » Sur la voûte du Ciel, la surface des terres,

» Je vois ton nom inscrit en divins caractères.

» Tracé sur chaque fleur, ce nom mystérieux

» Des vanités du monde a consolé mes yeux.

» Je te trouve partout : partout je te contemple,

» Tranquille dans tes bras, comme dans le saint temple,

» Libre d’inquiétude et d’alarme et d’effroi,

» Du séjour des humains je m’élance vers toi.

» Je plane dans les cieux ; et mon âme enivrée

» Oubliant les tourments qui l’avaient déchirée,

» Par des tourments nouveaux voudrait le racheter,

» Ce bonheur fugitif qu’elle vient de goûter. »

 

    Le Songe disparut : orphelin sur la terre,

Je me retrouvai seul, seul avec ma misère.

Mon être s’épuisa dans de nouveaux combats.

Je vis les voluptés, les crimes d’ici-bas ;

Et dégoûté bientôt de ces brillants mensonges,

Je pleurai sur la vie, et regrettai mes Songes.

 

 

 

Jacques CRÉTINEAU-JOLY,

Inspirations poétiques, 1829.

 

 

 

 

 

 

 



1 Bayle a dit que : l’athéisme ne devait pas mettre à l’abri de la crainte de l’Enfer et des souffrances éternelles. C’est une grande pensée, et sur laquelle on peut réfléchir longtemps. Le premier songe que l’on va lire peut être considéré comme cette pensée mise en action. Il ressemble un peu au délire de la fièvre, et doit être ainsi jugé. Sous tout autre rapport que celui de l’imagination, il serait singulièrement attaquable.

 

2 Parthénope est l’ancien nom de la ville de Naples.

 

 

 

 

 

 

 

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