Le lac Louise

 

 

À Monsieur F. E. Meredith, C. R.

 

 

L’AUBE pointe sur le couloir du lac Louise,

Large couloir pareil à la nef d’une église,

Et sous l’afflux de la lumière je m’assieds

Devant ses eaux sans ride et devant ses glaciers.

L’aube flotte légèrement sur les abîmes,

On dirait qu’elle hésite à descendre des cimes

Tant la nuit qui s’attarde aux flancs des monts heurtés

Mêle d’ombre tenace aux premières clartés.

Et puis l’aurore éclate et puis le jour flamboie.

Tous les brouillards tendus comme un rideau de soie

Que viennent de trouer les flèches du matin,

Sous les souffles errants s’éparpillent soudain,

Et les massifs, coiffés de neiges éternelles,

Se dressent comme des énormes sentinelles.

C’est l’heure créatrice au cours perpétuel

Et le moment divin et presque rituel

Où l’azur, irisant les gorges, communique

Des colorations à l’onde prismatique.

Et ce sera pendant des minutes encor

Tous les reflets qui vont jouer dans ce décor ;

Reflets d’or et de pourpre et reflets de topaze,

Du saphir qui bleuit, du rubis qui s’embrase,

Comme si la nature, ouvrant un vaste écrin,

Ornait de ses joyaux le col du lac serein.

Parfois sous mes regards des vagues de nuages

Disloquent ces reflets changeants des hautes plages,

Se brisent sur les fils des sapins rabougris

Et sur leur cône sombre allongent des tons gris.

Ô lac Louise ! je m’attarde sur ta rive.

C’est par toi que le sens de la beauté m’arrive.

Nés d’un caprice du chaos, tes flots muets

Depuis des temps sans nombre absorbent les sommets

Que le matin embrume et que l’air échevèle.

Oui, c’est par toi que Dieu lui-même se révèle

Au poète rêveur qui suspend son chemin

Et voudrait qu’aujourd’hui n’eût pas de lendemain.

 

 

 

Gonzalve DESAULNIERS,

Les bois qui chantent, 1930.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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