Un enfant à son frère

 

 

Qui m’a couvé neuf mois dans son sein gros d’alarmes ?

Qui salua ma vie avec des pleurs joyeux ?

Qui sous ses longs baisers éparpillait mes larmes ?

C’est ma mère. Une mère, en ses bras pleins de charmes,

Nous reçoit tout tremblants quand nous tombons des cieux.

Qui relevait mes pas quand je rampais à terre,

Forte de son sourire où s’arrêtaient mes pleurs ?

Sa bouche sur ma bouche, oh ! qui me faisait taire ?

C’est ma mère ! une mère avec un saint mystère,

Enveloppe nos cris dans ses chants ou ses pleurs !

Qui soutenait ma tête et retenait ma vie,

Quand mon berceau brûlait de mes fièvres d’enfant ?

Qui promettait le monde à ma rêveuse envie ?

C’est ma mère. Une mère à toute heure est suivie

D’un ange à la main pleine, au rire triomphant !

Qui, lorsque l’insomnie ouvrait mes yeux dans l’ombre,

Me faisait des tableaux plus doux que le sommeil ?

Qui m’apprenait que Dieu veille la nuit dans l’ombre ?

C’est ma mère. Une mère a des secrets sans nombre,

Pour délecter notre âme à l’heure du réveil.

Quand elle eut délié ma langue à la prière,

Qui battait la mesure à mes douces chansons ?

Sur mon livre muet qui versa la lumière ?

C’est ma mère. Une mère ouvre notre paupière ;

Au feu de ses regards, moi, j’ai lu mes leçons.

Quand elle vieillira.... Dieu ! n’est-ce pas un rêve ?

Elle a dit qu’elle aura bientôt des cheveux blancs ;

Qu’elle s’inclinera comme un jour qui s’achève,

Cette mère. À son cœur nous prenons tant de sève !

Dis, que ce sera triste à voir ses pas tremblants !

Si tu veux, nous irons où l’on trouve des roses,

Pour lier une fleur à chacun de ses jours ;

Nous irons dans un bois sombre et loin si tu l’oses,

Et nous la retiendrons par tant de belles choses,

Qu’à force d’être heureuse elle vivra toujours !

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE,

Le livre des mères et des enfants, 1840.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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