La mère à son fils

 

 

Quand j’ai grondé mon fils, je me cache et je pleure.

Qui suis-je, pour punir, moi, roseau devant Dieu ;

Pour devancer le temps qui nous gronde à toute heure,

Et crie à tous : « Prends garde ; il faudra dire adieu ! »

Mourir avec le poids d’une parole amère ;

D’une larme d’enfant que l’on a fait couler ;

Que l’on sent sur son cœur incessamment rouler ;

Est-ce donc pour ce droit que l’on veut être mère ?

Est-ce donc là le prix des immenses douleurs,

Dont nous avons payé leur présence adorée ?

De ce pas sur la tombe encor toute navrée,

Dieu ! laissez-nous donc vivre et respirer nos fleurs !

Laissez-nous contempler à deux genoux la tige,

Qui veut se lever seule et frémit d’obéir ;

Qui veut sa liberté, son plaisir, doux vertige.

Tout ce qui naît, mon Dieu ! tend ses bras au plaisir.

Laissez-nous seulement, ardentes sentinelles,

Écarter leurs dangers qu’ils aiment, si petits ;

Si forts à repousser nos forces maternelles,

De la fierté de l’homme innocents apprentis.

Purifiez un peu ce monde où chaque haleine,

À l’entour de nos fruits souffle un air plein de feu ;

Préservez le lait pur dont leur âme était pleine ;

Alors nous guiderons leur cœur par un cheveu.

Beaux anges mutinés qui bravez nos tendresses,

Dont les jours, dont les nuits tièdes de nos caresses,

Loin de vos nids plumeux brûlent de s’envoler ;

Qui les fera plus doux pour vous en consoler ?

La mère, n’est-ce pas un long baiser de l’âme ?

Un baiser qui jamais ne dit NON ni DEMAIN ?

Faut-il ses jours ? Seigneur ! les voilà dans sa main :

Prenez-les pour l’enfant de cette heureuse femme.

Enfant ! mot plein de ciel, qui fait reine ou martyr ;

Couronne des berceaux ! auréole d’épouse !

Saint orgueil ! nœud du sang, éternité jalouse,

Dieu vous fait trop de pleurs pour vous anéantir.

C’est notre âme en dehors, en robe d’innocence,

Hélas ! comme la vit ma mère à ma naissance :

Et si je la contemple avec d’humides yeux,

C’est que la terre est triste et que l’âme est des cieux !

Ô femmes ! aimez-vous par vos secrets de larmes ;

Par les devoirs sans bruit où s’effeuillent vos charmes ;

Après vos jours d’encens dont j’ai bu la douceur,

Quand vous aurez souffert, appelez-moi : ma sœur !

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE,

Le livre des mères et des enfants, 1840.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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