Paganini

 

 

Paganini ! doux nom qui bats sur ma mémoire,

Et comme une aile d’ange as réveillé mon cœur ;

            Doux nom, qui pleures, qui dis : gloire !

            Détaché du céleste chœur,

Tous les baisers du ciel sont dans ton harmonie,

Doux nom, belle auréole éclairant le génie !

Tu bondis de musique attaché sur ses jours ;

Il l’entraîne, il te voue à la foule idolâtre,

            La terre émue est ton théâtre,

Tu t’appelles son âme, oh, tu vivras toujours !

 

Oui, d’une flamme à part cette âme fut formée ;

Oui, Dieu la soupira, ce fut sa bien-aimée !

Oui, mille oiseaux d’amour murmurent dans son sein ;

Leur souffle le parcourt, ils chantent sous sa main,

            Lorsqu’on entend glisser sa vie

Aux cordes où son cœur dit ses pulsations,

Doux nom, tu vas tintant d’allégresse et d’envie

            Autour de ses créations !

Lorsqu’il va les cueillir comme les fleurs aux plaines,

Imitant la cigale à travers le bouleau,

Ou le frissonnement des nocturnes phalènes

            Frôlant le narcisse dans l’eau.

            

            Lorsque sa gloire solitaire,

            Au milieu du monde attentif,

            Force tous les bruits à se taire,

            Pour écouter le dieu plaintif ;

Lorsqu’il monte léger, comme un rêve dans l’ombre,

Qu’il attache à ses doigts les ailes d’un oiseau,

Et se balance ainsi que le rossignol sombre

Désaltérant sa voix au sommet d’un roseau.

 

            Parmi ses suaves baleines

            Qui bruissent comme les fleurs,

            Roule un miel pour toutes les peines,

            Et des larmes pour tous les pleurs !

            

            Un roi qui plaint et qui pardonne

            Relève moins d’infortunés ;

            Pensif et doux sous sa couronne,

            Roi sans armée, il donne, il donne

            Tous les biens qui lui sont donnés !

            

            Attiré dans sa pitié tendre,

            On ne sait plus rien des méchants ;

            En est-il où l’on peut l’entendre ?

            Non ! le mal est forcé d’attendre

            Que le ciel ait repris ses chants.

            

            Il porte à la foi qui succombe

            Un secret qu’il va prendre au ciel ;

            En relevant celui qui tombe,

            Qui doute et qui cherchait la tombe,

            Il dit : « L’espoir est immortel ! »

            

            À cette âme qu’il a cherchée,

            Il dit : « Ma sœur, écoute-moi :

            Je parle à la douleur cachée !

            Dans la mienne, au monde attachée,

            Je souffre... et j’attends comme toi ! »

 

Car on dit que naguère un cœur de jeune femme,

À force de l’aimer, mourut, et s’enferma

Sous l’érable sonore où palpite sa flamme,

Pour répondre toujours à celui qu’elle aima.

C’est sur ce cœur voilé qu’il frappe ses prodiges,

Et ses sanglots d’amour, et sa prière aux cieux,

            Et ses regrets délicieux !

Ils sont deux, toujours deux au fond de leurs prestiges.

Elle, à lui demander de toujours la chérir....

À lui reprocher, lui, d’avoir voulu mourir.

 

            Oh ! comme ils s’isolent ensemble

            Pour causer de ciel et d’amour ;

            L’heure sans nom qui les rassemble

            N’a plus de nuit, n’a plus de jour....

            Leur chaste et brûlante souffrance

            S’abreuve, en tremblant, d’espérance ;

            Car dans un profond souvenir,

            Que de croyance et d’avenir !

Mais quand il faut enfin retomber sur la terre,

Recueilli tout entier dans son double mystère,

Savourant pour sa soif encore un peu de miel,

            Avant d’abandonner le ciel,

Son génie haletant s’y plonge et s’y replonge ;

            Comme un baiser qui se prolonge

            S’attache à des lèvres de feu

Pour suspendre longtemps un impossible adieu.

 

            Voilà pourquoi son front d’artiste

            S’empreint de charme et de pâleur,

            Et pourquoi, l’on écoute, triste,

            Ce talent baigné de douleur.

            

            Dieu, protégez dans ses voyages

            L’écho vivant de votre voix,

            Qui suspend la voix des orages

            Ou les fait gémir sous ses doigts.

            

            À cette errante mélodie

            Fermez les sentiers douloureux ;

            Car sa sublime maladie

            Guérit bien des cœurs malheureux !

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1835.

 

 

 

 

 

 

 

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