Les fleurs du rêve

 

 

Depuis un bien long temps il n’avait pas dormi,

Cet artiste isolé, malade, sans ami,

Et qui dans la langueur semblait finir de vivre ;

Et, comme autour de lui l’horizon était noir,

Il entr’ouvrit ses yeux lassés de ne rien voir

Et dit : Que maintenant le Seigneur me délivre ! »

 

Alors un grand combat dans son cœur s’engagea.

Il pensa : « Je suis jeune, et de mourir déjà

Sans avoir fait mon œuvre il est trop tôt encore.

Suis-je mort ou vivant ? Je ne vis qu’à moitié.

Mon Dieu, de mon malheur précoce ayez pitié

Et d’un souffle éteignez le feu qui me dévore. »

 

Et, comme il gémissait, Dieu permit que soudain

Un sommeil qu’on eût dit émané de l’Éden

Vint enfin rafraîchir sa tête appesantie

Et qu’un rêve en sortit, bienfaisante vapeur,

Présage de repos qui n’était pas trompeur,

Mais qui portait en soi la douceur d’une Hostie.

 

Ce rêve avait des voix qui célébraient en chœur

L’hymne de la tendresse et l’extase du cœur :

Parfois ces frais accents s’éteignaient en murmure,

Parfois en sons joyeux leurs trilles s’échappaient

Et, tels que des oiseaux en fête, se groupaient,

Lorsqu’ils chantent ensemble au sein de la ramure.

 

Et l’homme eut entendu dans ce divin concert

Une plus tendre voix vibrer au haut de l’air,

Et dire avec bonté : « Pauvre ami, du courage !

Oublie en ce moment l’épreuve d’où tu sors ;

De ton corps affaissé ranime les ressorts ;

Nous sommes l’arc-en-ciel qui chassera l’orage. »

 

Ce n’était pas assez de cet enchantement :

Le rêve s’entoura presque subitement

D’une zone de fleurs rayonnantes et pures,

Des roses, des lilas, des muguets et des lis ;

Elles chantaient de même, et les volubilis

Pour embaumer le rêve accrochaient leurs ceintures.

 

Toutes rivalisaient d’éclat et de couleurs ;

Comme un autre concert le parfum de ces fleurs

À côté de l’extase apportait l’harmonie.

L’artiste murmura : « Merci, merci, mon Dieu ! »

Le rêve avec les fleurs monta vers le ciel bleu,

Et tu guéris le mal, ô vision bénie !

 

 

 

Alfred DES ESSARTS.

 

Paru dans la Revue du siècle littéraire,

artistique et scientifique en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net