La nonne et le chevalier

 

 

La terre repose et les étoiles se lèvent.

Mon désir veille avec les astres ;

J’écoute dans la fraîche nuit

Le bruissement des flots qui monte vers moi.

 

« De là-bas m’ont porté les vagues ;

Sous ta fenêtre close, tristement,

Elles viennent mourir au rivage.

Belle dame, reconnais-tu le chevalier ? »

 

Des voix étranges, me semble-t-il,

Flottent dans la tiède brise ;

Le vent pourtant, déjà les a reprises.

Ah ! combien mon cœur est angoissé !

 

« Là-bas, ton château dresse ses ruines.

Des plaintes errent dans les salles délaissées,

Et dans les vallons, dans les forêts,

À leur appel, je croyais mourir. »

 

Des chants heureux, comme autrefois, s’avancent.

Des jours oubliés depuis longtemps

Le souvenir mélancolique m’envahit,

Et je voudrais pleurer de toute mon âme.

 

« Là-bas, derrière la forêt, des chevaliers étincelants

Partent pour la conquête de la tombe du Christ :

Vers eux, je tournerai mon navire

Et tous mes chagrins prendront fin. »

 

Dans ce navire qui passe, j’ai vu un homme.

Trompeuse nuit, tu égares mes sens !

Adieu ! ô monde ! Que le Seigneur protège les égarés

Qui cherchent leur route dans les ténèbres !

 

 

 

Joseph von EICHENDORFF, Romances.

 

Traduit de l’allemand par Albert Spaeth.

 

Recueilli dans Eichendorff, Poésies,

préface et traduction

par Albert Spaeth, Aubier, 1953.

 

 

 

 

 

 

 

 

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