L’homme

 

 

                                         « JE » est un autre

                                         (A. RIMBAUD).

 

 

I. – CRÉATION.

 

Les cris multipliés de mille engoulevents,

La lance d’un cyprès veillant nos espérances,

Une touffe d’oyats que baiseront les vents,

Je dresse mon décor en marge de ces stances.

 

À gauche un étang bleu, à droite les gazons,

Au centre j’ensemence un rêve de richesse ;

Je signe, chez Pomone, un bail-quatre-saisons,

Sous l’œil narquois de l’aube en toque de prêtresse.

 

Que faire du lopin qu’arpente le corbeau

A l’heure où le soleil réchauffe les dépouilles ?

Plantons le sycomore au large chapiteau,

Dont l’ombre abritera Sœur Ève et ses quenouilles.

 

Et puis douze pommiers pour clore le verger...

...Voici déjà la sève en guise de réponse,

Voici le chant d’accueil aux lèvres du berger,

Voici les agneaux blancs parqués dans le quinconce.

 

Profane, j’oubliais la Vierge-des-Douleurs ;

– Il faut si peu d’azur pour que l’aube soit belle ! –

Mon cœur, en ex-voto, sous les saules pleureurs,

J’esquisse sur le ciel l’ogive et la tourelle...

 

...Le pic et le semoir, la bêche et le râteau,

La volonté de vaincre au bout d’un bras robuste,

Une once de lumière aux limbes du cerveau,

Je fonde les statuts de la Cité auguste.

 

La pierre et le ciment, l’ardoise et les linteaux...

Écoutez la rumeur qui transperce la brume,

Écoutez la sentence au rythme des marteaux

Battez, battez le fer, et que chante l’enclume.

 

Inonde, ô vieux soleil, ces immenses chantiers

Et que la nuit s’empale au trident de Neptune !

Faut-il encor des mains pour harper les béliers ?

Un souffle de vouloir soulève ma tribune...

 

...Il n’est plus une fleur en trêve des pollens ;

J’entends vagir les fruits sous les bures d’écorce,

J’entends bruire la vie aux conques des hymens :

Dieu fiance l’Amour à la déesse Force...

 

 

II. – MAIS L’HOMME VINT...

 

...Mais l’Homme, en tapinois, s’en vint sous les pommiers

Traînant dans son sillage, un air de jouissance.

S’il était sur la branche un couple de ramiers,

Un serpent déroulait ses anneaux d’indécence.

 

Pomme d’api tomba sous l’œil d’un épervier,

Un souffle de désirs brûla les résurgences,

Car l’Homme, incontinent, d’un geste de croupier,

S’empara du Péché, signant nos déchéances.

 

Depuis la terre tourne et voguent les saisons

Il est tant de vautours sur les tombes ouvertes,

Il est tant de clameurs et si peu d’oraisons,

Il est tant de mépris sur des faces inertes !

 

Que de Caïns sont morts sans le pardon d’Abel...

...Sur le sable mouvant des luttes fratricides

Homme bâtiras-tu le temple de Babel ?...

...Et si Dieu t’inscrivait au ban des régicides !...

 

 

 

Jacques ÉLAN,

L’archet brisé,

Unimuse, 1958.

 

 

 

 

 

 

 

 

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