Le bossu parle

 

 

Je suis le bossu, le chaudron,

le gaillard noueux, le jocrisse,

le nain qui doit lever le front

quand il veut parler à ses fils,

 

le têtard à la cime folle

où un champignon est niché,

champignon géant qu’aucun homme

ne pourra jamais arracher.

 

Il loge là depuis toujours,

démon qui hanta ma jeunesse ;

sur mes épaules, avec la peste,

il met une gloire... à rebours.

 

Il a fêté mon mariage

et tout sali. Il a gâté

mon habit et craché sa gale

sur le front de ma fiancée.

 

Il commet méfait sur méfait ;

bien qu’il soit silencieux et calme,

ne voie, n’entende, ne remue jamais,

il me dévore peau et poils.

 

Vous qui avez fait les pires folies

que l’on puisse commettre en la vie,

vous, hommes aux consciences viles

qui ne dormez ni ne mangez tranquilles,

 

vous qui errez comme dans une fosse,

venez, donnez-moi tout ce qui vous pèse ;

je le porterai sans me plaindre

si vous portez durant ce temps ma bosse.

 

 

 

Willem ELSSCHOT, Poèmes de jadis.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie néerlandaise

de Belgique (1830-1966),

choix de textes et traduction par Maurice Carême,

Aubier-Montaigne, 1967.

 

 

 

 

 

 

 

 

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