Bluette

 

 

AUX cris aigus de la bourrasque,

Pleurant des notes de hautbois,

Tout frileux, l’Hiver met son casque,

Et des mitaines de chamois.

 

Près de Vénus qui la regarde,

Au sortir de son lit blafard,

La Lune au ciel monte la garde,

En châle et fichu de brouillard.

 

Janvier, par ce temps de Norvège,

Par ces vingt-huit degrés de froid,

Tremble dans son berceau de neige,

Que le frimas suspend au toit.

 

Nuit de frissons ! Le givre colle

Sur le vitrage des falots

Dont la lumière souple et molle

Danse au chant joyeux des grelots.

 

Ici, c’est froid. Dehors, c’est pire.

Le piéton va rêvant du feu,

Tandis que le brasier se mire

Dans le miroir du salon bleu.

 

Sur leur socle, les statuettes,

Le col tendu vers les portraits,

Entrouvrant leurs lèvres muettes,

Semblent se faire des souhaits.

 

C’est que dans l’ombre, au vestibule,

Le Temps revient poser sans bruit,

Les aiguilles de la pendule

Sur le point qui chante minuit.

 

Et le nouvel an qui dénoue

Les glands mêlés de son manchon,

Entre, bat des pieds, et secoue

La neige de son capuchon.

 

L’instant même a rompu la chaîne.

Nous assistons – touchant adieu –

Au départ du convoi qui traîne

Bien des douleurs vers le bon Dieu.

 

L’Avenir en tunique d’ombre,

Le front rêveur et l’œil glacé,

Pousse de son pied l’an qui sombre

Dans les abîmes du passé.

 

Mais qu’importe que minuit fasse,

Sur l’émail encore agité,

Changer les aiguilles de place

Par le doigt de l’Éternité !

 

Sourions. Ayons l’air moins pâle ;

Et dites-moi – si vous voulez,

Madame – au bruit du vent qui râle,

Une ode à nos ans écoulés.

 

 

 

Eudore ÉVANTUREL,

Premières poésies, 1878.

 

 

 

 

 

 

 

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