Le foyer

 

 

Il est nuit. Revenus des friches ou des blés,

Ils tendent au foyer qui les a rappelés

          Leurs doigts gourds gercés de crevasses ;

Dans un rêve béat de bien-être animal

Ils se plongent ; la flamme endormeuse du mal

          Épanouit leurs maigres faces.

 

Et le sommeil les prend. « Prions, mes fils, prions ! »

Dit la fermière. – Et dans le refrain des grillons

          Cachés sous la pierre de l’âtre,

Elle récite – plus longue que le matin –

La prière pour tous, cependant que s’éteint

          Sur les murs la clarté folâtre.

 

À présent tous s’en vont, à tâtons, dans les coins,

Chercher la dure couche où l’on dort à pleins poings

          Jusqu’à ce que le coq s’éveille ;

Et seule, la fermière accroupie au foyer

S’attarde encore à voir sourire et rougeoyer

          Le bout d’une bûche vermeille.

 

Elle revit dans ces reflets les jours bénis,

Sa douce enfance au long des bois où sont les nids,

          Les beaux amours de sa jouvence,

Ses noces dans le temps des cerisiers en fleurs,

Son mari mort, ses fils soldats, l’effort, les pleurs,

          Et l’âge déjà qui s’avance ;

 

Puis couvre gravement de cendre le tison ;

Car, tandis qu’au sommeil sombrera la maison,

          Contre le froid et l’épouvante,

Contre le mal qui peut soudain fondre sur nous,

Il faut le feu sacré qu’on souffle à deux genoux,

          Et qui la fait encor vivante.

 

 

 

François FABIÉ, Vers la maison.

 

Recueilli dans Les poèmes du foyer.

 

 

 

 

 

 

 

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