Le semeur

 

 

Solennel comme un dieu, l’homme à braies ravaudées,

                L’homme à large poitrine velue,

Le noble loqueteux, le baron des chardons,

                Le semeur, sourcils froncés

Et cheveux ébouriffés lui descendant sur les paupières,

 

Gesticule dans les champs. La bosse ventrue

                D’un sac plein lui pend au cou.

À tour de rôle, des deux mains, au fond de la chose,

                L’homme puise ; il étale ses poings

D’un geste d’empereur et il bénit le sol.

 

Ainsi quand sur l’autel le gros cierge s’allume,

                Le beau jour de Pâques venu ;

Quand l’orgue bruit, pieux ; quand l’encens fume

                Et d’une nuée bleue parfume

Le front penché des fidèles, émus et tremblants ;

 

L’évêque soudain se dresse, mitre en tête,

                Crosse en main, le doigt annelé

D’améthyste ; un moment, majestueux, d’un geste

                De son doigt, pour terminer la fête,

Il fait une croix en haut, en bas, d’ici, de là.

 

Le pontife, magnifique en sa gloire, sème

                L’apaisement ; dans les cœurs las

Il verse la sainte rosée, et de son signe amène,

                Pour les soucis de tout genre,

Un peu d’idéal, suprême soulagement.

 

L’autre, le loqueteux, pontife à culotte délabrée,

                A pour gros cierge le soleil,

Le luminaire d’or qui resplendit à la voûte

                Du temple, et féconde les mottes

Avec les rayons de son éblouissant lampion.

 

Il a le ciel azuré pour autel. Sa chapelle,

                Tapissées de satin bleu,

Du sublime velours des nuées se recouvre ;

                Et la veilleuse des étoiles

Devant le tabernacle allume ses lueurs.

 

Pour orgue, il a le tonnerre, la formidable basse

                Qui bruit les hymnes sacrées,

Quand l’orage se résout en pluie tiède, et passe

                Imbibant les terres fatiguées

Et réveillant les germes en leurs laitages sucrés.

 

Et de mignons enfant de chœur, à douce voix,

                Font : alleluia, riéu-piéu-piéu !

Pinson et serin, fauvette et chardonneret

                Qui porte rouge capeline,

Brésillent leurs motets à la gloire de Dieu.

 

Pour encens, dans le fleurs en guise de navettes,

                Se sont amassés des parfums

Que les encensoirs d’or, dans leurs petites corbeilles

                Ciselées et pendantes,

Exhalent doucement sans feu ni fumée.

 

Gosier merveilleux, soudain l’alouette huppée,

                Finie son Adoration

Au nid, part, tout droit monte ainsi qu’une fusée ;

                Elle monte en chantant ; puis, élevée,

Invisible, là haut elle siffle l’Élévation.

 

De l’évêque, en comparaison, qu’est la magnificence !

                L’autre, avec la ceinture rouge aux reins,

A tout pour lui, alors qu’en gesticulant il commence

                Le saint office des semences

Qui fait du pain pour l’homme, et pour l’âne du son.

 

 

 

Jean-Henri FABRE.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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