Les deux anges

 

CHANSON

 

 

Près de la crèche où l’homme vient au monde,

Pour se traîner vers le mal ou le bien,

Satan envoie un ange au cœur immonde,

Et l’Éternel place un ange gardien ;

Alors que l’un, guidé par la colère,

Sur l’innocent fait peser un fléau,

L’autre soudain, de l’enfant au berceau,

Porte les cris droit au cœur d’une mère.

 

      Dans sa bonté le divin Créateur

      A mis un baume auprès d’une douleur.

 

Mais bientôt l'homme aborde le théâtre

Où s’accomplit le drame de ses jours,

Aux durs labeurs son bras opiniâtre

Arrache à peine un passager secours.

Quand sous le faix des travaux mercenaires,

L’ange du mal le tourmente et l’abat,

L'ange du bien couronne son grabat.

 

      Dans sa bonté le divin Créateur

      A mis un baume auprès d’une douleur.

 

L'homme entraîné par son sang qui bouillonne,

Et par ce dieu qu'on appelle Hasard,

Aux vents, aux flots follement s’abandonne

Ou va défendre un sanglant étendard ;

Le noir Esprit vient frapper sa mémoire,

Et de périls et de vaines frayeurs :

Pour l’arracher à de lâches terreurs,

L’ange à ses yeux fait rayonner la gloire.

 

      Dans sa bonté le divin Créateur

      A mis un baume auprès d’une douleur.

 

Épouvanté, l'homme au tiers du voyage,

Sous chaque pas aperçoit un écueil ;

Bien jeune encor, son chancelant courage

Rêve déjà le repos du cercueil.

L’ange perfide, en ulcérant son âme,

Indique une arme à ses tremblantes mains

L’ange du ciel le rattache aux humains

En le poussant dans les bras d’une femme.

 

      Dans sa bonté le divin Créateur

      A mis un baume auprès d’une douleur.

 

L'homme, au milieu des épreuves humaines,

Voit par degrés s’affaiblir sa vigueur.

Un sang moins chaud s'infiltre dans ses veines,

Chaque minute ôte un prisme au bonheur.

Quand l’âge vient frapper à sa demeure,

L’Enfer sourit aux maux qu’il sait aigrir ;

À son chevet l’Ange fait accourir

L’enfant qui rit et l’amitié qui pleure.

 

      Dans sa bonté le divin Créateur

      A mis un baume auprès d’une douleur.

 

De cette vie ayant gravi la cime,

L’homme effrayé mesure la hauteur ;

Pris de vertige, entraîné vers l’abîme,

Des mains il cherche un rameau protecteur ;

Quand le démon sous sa griffe cruelle

Tient l’âme en peine et meurtrit sa prison,

L’ange, du doigt, lui montre à l’horizon

Et l’Espérance et la vie éternelle.

 

      Dans sa bonté le divin Créateur

      A mis un baume auprès d’une douleur.

 

 

 

Louis FESTEAU, horloger.

 

Paru dans: Poésies sociales des ouvriers,

réunies et publiées par Olinde Rodrigues, 1841.

 

 

 

 

 

 

 

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