Prière

 

 

Dieu souverain, mon cœur, que ton amour enlève,

Montera jusqu’aux deux où ton nom est écrit ;

Hors de ce monde étroit, volontaire proscrit,

Il ira, palpitant, dans un sublime rêve,

Vers l’éblouissement de ton puissant esprit.

 

Car mon âme, échappant à la terre funeste,

Cède à l’attraction de ton divin aimant ;

Elle aspire à plonger, avec ravissement,

Au sein de l’absolu, de l’infini céleste

Qui se dévoile enfin à mon recueillement.

 

Ô mon maître, je veux contempler en extase,

Bien loin de la nature et de l’humanité,

Les magiques splendeurs de ton éternité,

Et brûler, au contact de ton feu qui m’embrase,

Tout ce qui reste en moi de l’animalité !

 

Le spectacle enchanteur de l’univers visible,

– Merveilles de la terre et du bleu firmament,

Globes dont le calcul trace infailliblement

L’orbite vaste au fond du ciel inaccessible, –

Ne pourrait pas suffire à calmer mon tourment,

 

Parce que tout, Seigneur, dans l’immense nature,

Tout doit périr, tout doit aller vers une fin ;

Toute chose, ici-bas, se détruit en chemin ;

En haut les grands soleils s’éteignent, rien ne dure,

Et l’astre ne sait pas s’il brillera demain.

 

Toi seul, mon Dieu, tu vis d’une vie éternelle ;

En toi ni changement, ni variation ;

Ton être ne subit point d’interruption ;

Tu vois, calme et serein, la substance charnelle

Accomplir hors de toi son évolution...

 

Aussi mon cœur s’attache à toi, comme au seul être

Qui m’explique le but de la création ;

Je répands à tes pieds mon adoration ;

Je n’ai point de remords à t’appeler : « Mon Maître » ;

J’accepte et je bénis ta domination.

 

Tout converge, Seigneur, vers ta grâce infinie :

J’ose aspirer au bien : c’est toi la sainteté ;

À l’idéal, au vrai : c’est toi la vérité ;

À l’ordre qui s’enchaîne : et c’est toi l’harmonie ;

Au beau qui resplendit : et c’est toi la beauté !

 

Oui, oui, tu m’as créé pour la sphère de l’âme.

Qu’importe qu’ici-bas mon coupable désir

Épuise follement la coupe du plaisir ?

Je te cherche, ô mon Dieu ! sans cesse je réclame

Ton amour, ton pardon, et je veux les saisir.

 

Ah ! puisque cette terre où s’écoule ma vie

Leurre hypocritement mes besoins élevés ;

Puisqu’elle se dérobe, et laisse inachevés

Les doux contentements de mon âme ravie,

Et la joie attendue et les bonheurs rêvés ;

 

Puisque mon esprit vole en avant, et dépasse

Les confins rapprochés de ce globe mortel ;

Puisqu’en dehors de toi rien n’est essentiel,

Arrache-moi, Seigneur, à ce monde qui passe,

Ouvre-moi, dans l’azur, les portes de ton ciel !

 

 

 

Raymond FÉVRIER.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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