Les jours, ils sont trop

 

 

Mais non, la vie n’est pas courte. Voici

Que le crépuscule, sur le jour

Qui m’est né ce matin

Et que je caressais tout rose entre mes doigts,

S’abat, comme s’abat un faucon

Rapace sur une victime innocente.

 

Mais combien nombreux sont les jours que vous nous donnez,

Ô Seigneur, pour voir les fils d’herbe

Chaque année renaître, les amandiers

Se couvrir ponctuellement, d’un blanc nuage

À chaque avril, et se gonfler comme de brunes

Mamelles les douces grappes chaque automne ;

Combien nombreux les jours pour nous répéter, Seigneur,

Que vos dons de vie sont précieux et qu’ils sont beaux.

 

Si nombreux qu’il y en a même trop.

Un soleil aujourd’hui se lève pour moi, demain

Un autre se lèvera, puis d’autres encore,

Et je dois accumuler en moi les souvenirs

Qui me chargeront d’un faix

Combien lourd de paroles,

De douleurs, de rancœurs, d’amours, de deuils.

 

Eh ! non, la vie n’est pas courte. Des jours

Il en voit assez devant lui l’homme

D’infamie, pour ruminer le mal et d’un sang

Fraternel baigner

Le sol. Des jours, il en voit trop

Le puissant, pour préparer, à l’abri

De ses murailles bien défendues,

Les carnages qui déchireront le monde.

 

Seigneur, ah ! faites que cette créature

Tirée de votre limon réfléchisse

Un instant – pour être, si possible, meilleure –

Au sort que vous lui pouviez réserver ;

Au sort qu’inversement vous avez assigné, dans notre air

Même, à l’éphémère qui vole

Sans rien savoir et qui, lorsqu’il s’allume,

Déjà décline vers le sol où il s’éteindra.

 

 

 

Lionello FIUMI.

 

Traduit par Henri Bédarida.

Recueilli dans Lionello Fiumi,

par Roger Clerici,

Seghers, 1962.

 

 

 

 

 

 

 

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