À la poésie

 

 

                                           Paris, avril 1872.

 

Es-tu donc morte, ô charmeresse ?

L’Idéal a pris le grand deuil,

Et les rêveurs dans leur tristesse

Veulent draper d’or ton cercueil.

 

Quelle main a forgé les chaînes

Qui t’enlacent pour te meurtrir ?

Comment s’est glissé dans tes veines

Le poison qui te fait mourir ?

 

Aurais-tu traîné dans l’ornière

Ton splendide manteau d’azur,

Et laissé ton char de lumière

S’égarer sur un sol impur ?

 

Sur ton noble front de vestale,

Les feux étoilés ont pâli.

Tes beaux pieds taillés dans l’opale

Ont l’empreinte d’un doigt sali.

 

Tu te nourrissais d’ambroisie,

On t’a versé du sang, du fiel.

Brisant la coupe, ô Poésie,

Il fallait remonter au ciel.

 

Dieu, qui te fit chaste et superbe,

N’ouvrait plus l’oreille à tes chants.

Il entend frémir le brin d’herbe,

Il voit fleurir le lis des champs.

 

Mais sa main creuse un vaste abîme

Où le poète s’engloutit,

Lorsque cet atome sublime

Livre son talent au Maudit,

 

Quand sa muse, une noble dame,

Ose s’affubler d’oripeaux,

Et quand sa grande aile de flamme

Effleure de honteux tréteaux ;

 

Quand l’ode et la douce élégie,

L’hymne à l’’accent mâle et vainqueur,

Semblent s’exhaler de l’orgie

Comme un chant au refrain moqueur.

 

C’est mentir à ton origine

Et si j’en crois des parchemins,

Les peuples te savaient divine.

Reprends tes célestes chemins.

 

Fleur éclatante ou fleur champêtre,

Faite d’albâtre ou de velours,

La main souveraine du maître

T’embauma des saintes amours.

 

Tu fleurissais sur le passage

De ceux qui marchent en rêvant

Dans la vie, un très court voyage

Qui n’est qu’un songe décevant.

 

Tu versais sur l’âme flétrie

L’oubli, d’où renaît la vigueur ;

Tu murmurais le mot : Patrie,

À l’exilé pris de langueur.

 

Ne prends nul souci du vulgaire

Qu’opprime toute majesté.

Dans un pur rayon de lumière

Renais à l’immortalité.

 

Lève ta pierre sépulcrale,

Dépouille-toi de tes haillons ;

Et dans ta beauté sépulcrale

Reviens charmer les nations.

 

Reine à la voix tendre et puissante,

Prends ta lyre et ton sceptre d’or ;

Étends ton aile frémissante :

L’Humanité écoute encor.

 

 

Zénaïde FLEURIOT.

 

Paru dans La Semaine des Familles en 1875.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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