Une femme excellente
C’est une femme excellente,
pratiquante,
édifiante,
respectable, respectable en diable.
Rien à dire sur elle :
C’est un exemple, un modèle...
À l’église, au premier rang,
elle a son prie-Dieu
recouvert de velours rouge
pour mieux suivre « sa » messe,
(car la messe aussi est à elle.)
*
Il fait froid.
Elle s’est bien emmitouflée,
elle et son enfant,
et elle avance, la tête droite
en direction de l’église,
paisible et sans émotion.
Elle va, comme on dit, faire « ses dévotions ».
Il fait froid.
Et même avec ses gants fourrés,
elle sent qu’il fait froid.
Alors elle se hâte de franchir le porche
sans remarquer le Pauvre qui l’attend...
Elle dit : je vais vers le Seigneur,
je vais prier le Christ, ce grand
qui nous aima jusqu’à mourir.
... Et elle passe devant Lui sans Le reconnaître.
Elle dit à son enfant :
« Viens voir le petit Jésus. »
Et l’enfant – il fait si froid ! –
bouscule pour entrer plus vite
L’Enfant pauvre et demi-nu qui l’attendait.
*
Mais si, c’est une femme excellente...
Elle est sûre d’elle,
sûre qu’elle fait le bien
et qu’elle le fait bien.
*
Si le Bon Dieu en est content ?
C’est une question qu’en vérité
elle ne s’est jamais posée.
Baptisée,
communiée,
confirmée
et mariée :
tout cela à l’église.
... Et il y en avait des fleurs,
et des lumières, et de l’orgue !
Et puis la prière,
la messe du dimanche,
le poisson du vendredi.
Bref tout ce qu’on lui a dit
de faire.
Tout ce qu’on doit faire
pour ne pas aller en enfer ;
en fait,
tout ce qui se fait.
*
Bien sûr qu’il est content le Bon Dieu !
Entre nous, je vous le dis,
il serait bien difficile
– et, devant tant de mérites, bien ingrat –
s’il ne faisait tuer le veau gras
lorsqu’elle ira au Paradis...
Elle a fait tout ce qu’on lui commande !
Alors...
– Alors quoi ?
– Rien.
*
À la porte, dans le froid, dans la nuit,
le Bon Dieu et Son fils attendent...
Raoul FOLLEREAU, Si le Christ demain frappait à votre porte, 1954.