Sois ce fou, ce vautour...

 

 

                                    Inutiles, épars, ils traînent ici-bas

                                    Le sombre accablement d’être en ne pensant pas.

                                                                                Victor HUGO

 

 

Si tu savais le mal que tu fais à ton âme

En voulant bâillonner ses plus nobles instincts,

Ce qui claque et bondit en toi... tout ce qui clame !

Laisse-toi balayer par l’air vif des matins,

Poussière énigmatique où le rêve s’enlise,

Être veule, fléchi par l’effroi de s’ouvrir,

Imperméable à tout ce qui soulève et brise,

Tu préfères ta nuit au risque de souffrir !

 

Dessille ton œil sec, plonge ton apathie

À contre vent dans l’eau transparente du soir.

Dépouille en toi la crainte où l’idéal s’ennuie,

Tu seras sous l’azur un nouvel ostensoir !

Embrasse l’Harmonie à travers la prière

Clairsonnante des pins ! Montre ton cœur à vif,

Et sois une lumière au milieu des lumières !

Gave tout l’univers à ton cœur extensif !

 

Écrase un peu toujours le plus cher de toi-même.

Cours à plein front vers les escarpements ardus,

Rougis-les en mâchant ce délire suprême

D’avoir su retrouver ton baptême perdu.

Suis ton génie, appuie infiniment ta lèvre

Sur l’éclatement bleu saturé de soleil !

Sois ce fou, ce vautour de l’incurable fièvre...

Cisèle chaque jour un être à toi pareil !

 

Déclenche sur ta mort la transe apostolique,

Survis, évade-toi de ce boueux tombeau.

Répands à coups d’amour ton ivresse héroïque

D’avoir un cœur, un zèle à battre sur le beau !

À ton épaule, tiens l’ivre condescendance

Des midis... serre fort contre toi la saison.

Rien qu’une heure en tes mains, prends toute la souffrance

Du paysage : apprends sa robuste oraison !

 

Tu ne veux pas te rompre à l’œuvre spatiale,

Mais tu n’entends donc pas que le ciel crie en toi !

Il se souvient de ta puissance initiale

Et pleure... obscurément ton fourbe désarroi.

Sache où tu vas ! – Rends-lui sa splendeur qu’il réclame.

Non ! tu n’as pas le droit de draper ton malheur

En lâcheté ! Remue !... et sens s’ouvrir ton âme !

Avant d’être à jamais sans vie et sans bonheur...

 

 

 

Marie-Anna FORTIN,

Bleu poudre, 1939.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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