Job

 

 

La lune, depuis l’heure ou cessa la prière.

Sur le marbre des cours, le temple, les jardins.

Là-bas, sur la colline étagée en gradins,

Envoyait, bleuissante et froide, sa lumière.

 

La ville se taisait. Des terrasses, des murs,

Des palmiers frémissants, noire, descendait l’ombre ;

La rue était, aux yeux, comme un long ruban sombre,

Où l’on aurait, le soir, piqué des épis mûrs.

 

Pendant que tout, au loin, repose sur la terre,

Que l’astre, dans son plein, semble rire et reluit,

Lugubre, tout à coup, éclate, sous la nuit,

Le hurlement d’un chien malade ou solitaire.

 

Et, plus lugubre encore, une voix lui répond.

Comme un sanglot, dans l’air, elle gémit et pleure,

Puis, se précise et gronde : on dirait qu’à cette heure,

L’espace n’est que plainte et douleur. Vagabond,

 

Délaissé, n’ayant plus, pour abriter sa tête,

Que l’ombre du palais, qui fut longtemps le sien,

Sous sa lèpre enviant même la pauvre bête,

Job, dans sa langue, dit ce que hurle le chien.

 

– « Pitié ! mon Dieu, pitié ! Reprends-moi cette vie

Que ronge un mal hideux, ô Père ! ou dis pourquoi,

Un jour est descendue, en cette chair pourrie,

Une âme misérable, une âme qui fut moi !

 

Que ce jour soit maudit ! Maudite l’espérance

Dont s’abusa ma mère, en portant à son sein

Un fils, son premier-né, frêle fleur de souffrance,

Où les douleurs devaient s’abattre en noir essaim !

 

Que maudite soit l’heure, où le premier sourire

Épanouit ma lèvre, où mon œil s’est ouvert,

Joyeux, à la lumière, où ma bouche a pu dire

Un mot tendre, où mon front au baiser s’est offert !

 

Je serais maintenant sous quelque lourde pierre,

Rien !... Non ! plus rien ! pas même un brin d’herbe au printemps.

Pas même, pour le vent, un reste de poussière !

Que de peines de moins, et que de bons instants !

 

Le néant et l’oubli ! – Ma mère eût eu sa joie,

Après les jours de deuil. Dans la verte saison,

Les champs eussent fleuri, sans que je fusse en proie

Au sombre désespoir où s’éteint ma raison.

 

Je n’aurais point versé tant de larmes amères,

Au cuisant souvenir de mon bonheur passé ;

Je n’aurais jamais vu les amours éphémères

Se promettre et mourir. – Je n’aurais point pensé !

 

Je n’aurais pas voulu qu’enfin, dans ma poitrine,

Cessât de battre un cœur, fait surtout pour souffrir ;

Je n’aurais point maudit la lumière divine,

Hélas i ni souhaité pour jamais m’endormir !

 

Je n’aurais point connu la vie et sa misère,

Ni jamais demandé, comme aujourd’hui, pourquoi,

Sinon pour y gémir, sous ce rongeant ulcère,

Un jour, est descendue une âme, qui fut moi ! »

 

Pendant que sous la nuit, grondait, désespérée,

La voix du malheureux, la lune, au firmament,

Jetait, sur l’ombre même, une teinte azurée.

– Le chien hurlait toujours et lamentablement.

 

 

 

V. FOULON.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1896.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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