La vraie dévotion

 

FRAGMENTS

 

 

Apprends à distinguer la superstition,

Sous les habits trompeurs de la dévotion,

Moins des traits de sa main, que de ceux de la flamme,

Qu’amour avait gravé dans le fond de son âme.

Arélius donnait tout l’air et les attraits

Des femmes qu’il aimait, à ses autres portraits,

Et chacun pour soi-même un peintre fort commode

Peint la dévotion à présent à la mode.

Donc quiconque pourra jeûner facilement,

Se tiendra pour dévot s’il s’abstient seulement

Quoique son cœur soit plein de fiel, et de vengeance,

Et n’osant pas tremper, par fausse tempérance,

Sa langue dedans l’eau, moins encor dans le vin,

La plongera pourtant dans le sang du prochain,

Dans ce sang de l’honneur bien plus cher que la vie,

Et par la médisance, et par la calomnie.

Un autre se croira dévot d’autre façon,

Par une journalière, et fréquente oraison :

Sa colère pourtant en blasphèmes s’explique,

Et dans son voisinage, et dans son domestique.

L’autre ouvrira sa bourse aisément pour donner

Et n’ouvrira jamais son cœur pour pardonner.

L’autre à ses ennemis pardonnera l’injure,

Qui dans le même temps se déclare parjure ;

Puisqu’à ses créanciers il ne fait pas raison,

S’il ne s’y voit contraint par force, ou par prison.

Ces hommes pour dévots passent dans le vulgaire,

Et toutefois pour tels c’est abus de les croire.

[...]

Le monde qui ne voit que par les yeux du corps,

Et ce qui lui paraît seulement au dehors,

Croit leur dévotion solide, et véritable :

C’est une illusion, un abus, une fable,

Une vapeur, une ombre, un spectre revêtu

Des plus vives couleurs qui parent la vertu :

Nulle dévotion n’est parfaite, et sincère,

Sans que l’amour divin lui serve de matière :

Et Philotée il faut qu’un si digne sujet

De nos tendres désirs fasse l’unique objet :

Tant que ce cher amour réside dans notre âme,

C’est grâce : et les rayons de son ardente flamme,

Font que notre âme agrée à la Divinité,

S’il la pousse à bien faire, alors c’est charité :

Mais étant parvenu jusqu’au degré suprême

De cet amour, qui fait que l’on se hait soi-même,

Est tout ardeur, tout zèle en la moindre action,

On nomme cet amour alors dévotion...

 

 

 

FRANÇOIS DE SALES, Introduction à la vie dévote.

Mis en vers par Martinet Descury.

 

Recueilli dans Dieu et ses poètes, par Pierre Haïat,

Desclée de Brouwer, 1987.

 

 

 

 

 

 

 

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