Les émigrants

 

 

 

Mon regard ne peut se détourner de vous ; partout votre image me poursuit. Je vous vois, de vos mains empressées, remettant au maître du vaisseau vos pauvres richesses.

 

Ô vous, hommes, qui lui apportez sur votre dos des corbeilles pleines de ce pain que vous-mêmes vous avez pétri avec du blé allemand, que vous avez cuit aux foyers de l’Allemagne.

 

Et vous, filles brunes, filles élances de la Forêt-Noire, vous que parent si bien vos longues tresses, avec quel soin vous placez vos cruches et vos pots sur les bancs verts de la chaloupe !

 

Ces cruches et ces pots, que de fois vous les avez remplis aux sources de la patrie !... Lorsque là-bas, sur les rives du Missouri, tout sera silencieux autour de vous, ces objets vous rappelleront le pays où vous naquîtes.

 

La fontaine de pierre du village, où vous vous penchiez pour puiser ; la place préférée au foyer de la famille et la corniche qu’ils ornaient.

 

Les chers objets ! Ils garniront là-bas, dans l’Ouest, la frêle muraille de votre maison de bois ; bientôt votre main les présentera, pleins d’une fraîche boisson, aux hôtes bruns qui viendront frapper à votre porte, accablés de fatigue.

 

Vous y donnerez à boire à l’iroquois, quand il reviendra de la chasse, épuisé et couvert de poussière ! Mais vous ne les rapporterez plus couvertes de pampres et de feuillages cueillis aux jours des vendanges, sur les coteaux de l’Allemagne.

 

Oh ! dites-moi ! pourquoi donc avez-vous quitté vos lointains villages ? La vallée du Necckar a des vignes fertiles, elle a du blé toujours ! La Forêt-Noire s’élève couverte de sombres sapins ! Le cor des Alpes retentit dans les monts du Spessart.

 

Oh ! que de fois, dans les forêts étrangères, un secret désir vous reportera vers les vertes montagnes de la pairie, vers les guérets de l’Allemagne, aux moissons dorées, vers ses coteaux couverts de vignes !

 

Comme elle flottera dans vos songes, brillante et légère, l’image des anciens jours ! Ainsi qu’un hôte, à la voix plaintive et douce, le secret de la patrie entrera dans votre âme et ne la quittera plus.

 

Le capitaine donne le signal. Partez en paix ! Dieu vous garde, hommes et femmes et vieillards ! Qu’il donne à vos cœurs la joie et fasse mûrir le seigle et le maïs dans vos champs !

 

 

 

Ferdinand FREILIGRATH.

 

Recueilli dans Les Grands Auteurs

de toutes les littératures,

Nouvelle Bibliothèque populaire,

dirigée par Henri Gautier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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