Paysages évangéliques
À Émile Michelet.
Voici, une vierge sera enceinte, et elle enfantera un fils,
et on le nommera Emmanuel, ce qui signifie : Dieu avec nous.
(Évangile selon saint Mathieu.)
I
Vêtu de poils de chèvre, une ceinture aux reins,
Près du fleuve Jourdain, au désert, Jean-Baptiste,
Avec un air divin, à la fois tendre et triste,
Grave et doux, baptisait les pieux pèlerins.
Il buvait l’eau de pluie, il buvait l’eau des fleuves,
Et pour sa nourriture il pêchait des poissons,
Ou bien cueillait le miel sauvage des buissons ;
Il livrait tout son corps à de rudes épreuves.
« Un homme, disait-il aux gens agenouillés,
Va venir, apportant comme loi ce mot : Aime !
Et je ne pourrai pas être digne, pas même
En pliant les genoux, de lier ses souliers. »
Alors, de Nazareth, ville de Galilée,
En ce temps-là, vers Jean, se présenta Jésus.
Et des cieux entrouverts et vaguement émus.
Une blanche colombe en feu s’est envolée.
II
Jésus quarante jours dans le désert pria,
Seul, tenté par Satan, et servi par des anges,
Avec devant les yeux des visions étranges.
Le quarantième jour, vers le soir, il alla.
Il meurtrissait ses pieds sur le sable ou la roche,
Il priait en marchant, et, lorsqu’il rencontrait
Des hommes sur la route, avec bonté montrait
Le ciel : « L’heure de Dieu, leur disait-il, est proche. »
Et la plupart riaient, le croyant fou, mais lui
Avec plus de douceur : « L’univers est fragile,
Amendez-vous, croyez, frères, à l’évangile. »
Et puis il reprenait sa marche. Quand la nuit
Le surprenait en route, il couchait sur la terre
Ou gagnait à la hâte une ferme, souvent
Il était repoussé dehors brutalement,
Il ne se plaignait pas d’être ainsi solitaire.
Et rêveur il disait : « Les hommes sont méchants,
Mais je vais leur donner les lois de l’évangile,
Les hommes seront bons. La semence fertile
En heureuses moissons germera dans les champs. »
Quelquefois, dans un bourg, ayant marché longtemps,
Il reposait ses membres las, ses mains tremblantes,
Et comme dans ses yeux riait tout le printemps
Les femmes pour le voir passaient graves et lentes.
Joachim GASQUET.
Paru dans Psyché en 1892.