La chute de notre premier père

 

Air de gavotte : Talala la la rala.

 

 

Par la permission du Ciel,

     Le maudit cerbère,

S’échappant par la lucarne

     Ou par la chatière,

Dans Éden il s’en allait

Où dame Ève demeurait,

Tra la la la la la la,

     Porter la misère.

 

Il lui disait tout d’abord :

     – Bonjour, demoiselle,

Je suis ravi de vous voir,

     Vous êtes bien belle,

Votre mari est-il là ?

Pourrait-on pas lui parler ?

Tra la la la la la la,

     Il lui baillait belle !

 

– Ne vous moquez pas de moi,

     Monsieur le Vipère ;

Mon Créateur et mon Roi,

     Mon Dieu et mon Père,

De sa propre main m’a fait

Et promit que je serais,

Tra la la la la la la,

     Des humains la mère.

 

– Vous êtes, ce lui dit-il,

     Bien logée, dame Ève ;

Vos arbres chargés de fruits

     De fleurs sont en sève,

On ne sent point ici de vent,

Toujours règne le printemps,

Tra la la la la la la.

      (La maline bête !)

 

Ève, qui ne connaissait

     Pas le précipice

Et que ce serpent était

     Rempli de malice,

Répondit : Vous dites vrai,

Nous n’avons pas ici d’hiver.

Tra la la la la la la,

     À votre service.

 

Mon oncle qui avait cent ans

     Me conta l’histoire

Et me disait : Mon enfant

     Mets dans ta mémoire :

Femme qui veut écouter,

Ville qui veut conspirer,

Tra la la la la la la,

     Sont prêtes à se rendre.

 

Adam venait promptement.

     Le serpent s’avance,

Lui faisant un compliment

     Et une révérence,

Disant : Bonjour, vieil ami,

Vous pouvez en Paradis,

Tra la la la la la la,

     Bien faire bombance !

 

Comment nomme-t-on ce fruit ?

     J’en ai bien envie !

Adam dit : C’est défendu !

     C’est le fruit de vie.

Dieu a dit : N’y touchez pas

Ou bien vous serez damnés,

Tra la la la la la la,

     Et bannis du ciel.

 

Le traître lui dit d’abord :

     C’est pourtant dommage,

Adam, il vous fait bien voir !

     Prenez donc courage,

Mangez et ne craignez pas :

Dessus l’arbre je vais monter,

Tra la la la la la la,

     C’est votre avantage.

 

À dame Ève il le donna.

     Elle était friande.

Dans la pomme elle mordit.

     La pauvre innocente

En donna au père Adam

Qui y planta les dents,

Tra la la la la la la,

     Maudite pitance !

 

Quand le diable eut fait son coup,

     Alors il déniche

Adam qui avait grande honte

     Tout nu sans chemise.

Dit : Ma femme, qu’avons-nous fait ?

Nous avons gagné l’enfer,

Tra la la la la la la,

     Par notre sottise !

 

Ils vont tous deux se cacher,

     Évitant la vue

Du grand souverain du Ciel,

     Le seigneur leur Dieu,

Qui tous deux les appelait.

Mais ils n’osaient se montrer,

Tra la la la la la la,

     Après leur bévue.

 

Loin de demander pardon,

     D’avouer leur faute,

Disant de pauvres raisons,

     S’accusaient l’un l’autre.

– C’est ma femme, dit Adam.

Ève dit : C’est le serpent,

Tra la la la la la la,

     Qu’en est la seule cause.

 

Allez-vous-en labourer,

     Leur dit Dieu, la terre.

Car vous ne méritez pas

     D’être en ce parterre.

Adam, tu travailleras.

Ève, tu l’obéiras.

Tra la la la la la la,

     T’auras peu à faire.

 

Nous étions donc tous damnés

     Sans la venue

Du Messie qui dans l’hiver

     Vint en ce bas lieu.

C’est pour briser nos fers

Et nous tirer de l’enfer,

Tra la la la la la la,

     Qu’est né l’homme Dieu.

 

 

 

François GAUTHIER,

Noëls en patois de Besançon.

 

Recueilli dans La grande et belle bible

des Noëls anciens, XVIIe et XVIIIe siècles,

par Henry Poulaille, Éditions Albin Michel, 1950.

 

 

 

 

 

 

 

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