Regrets de Tircis sur la mort de son ami Pierre Goudouli

 

 

À mort ! muses, à mort ! il faut changer de place, il faut prendre le grand deuil ; il faut couvrir l’Hélicon de crêpes funèbres. Sonnez ! muses, sonnez ! tirez des accents de douleur de vos instruments ; votre beau nourrisson n’est plus ! Jeunes filles, pleurez, sanglotez, maudissez la mort qui a tranché le fil de ses jours.

 

C’en est fait ! c’en est fait ! qu’on ne me parle plus de joie, ni d’amusements. Esprit de galanterie, retire-toi ! le nuage qui couvrait mes yeux s’est dissipé. C’était un abus, il faut le détruire ; et, pour mener désormais une vie toute sainte, je veux donner un coup de pied sur le nez à tous les plaisirs mondains.

 

Le monde est inconstant ; il rit et pleure tour-à-tour. On ne peut avec lui goûter tranquillement une heure de bonheur. Ses amusements vous trahissent ; il vous sourit et il vous trompe ; il vous flatte et il se moque de vous ; ses plaisirs s’évanouissent en un matin ; sa joie n’a jamais vu la fin d’une année ; des nuages d’affaires obscurcissent son existence ; le malheur vous fait trébucher à chaque instant ; et, pour un jour heureux, vous en trouvez cent qui vous chagrinent.

 

Qui peut mieux le savoir que l’ami dont je porte le deuil, que je pleure et qui me cause tant de tourments ! Tant que le bonheur lui sourit, il fut adoré de tout le monde ; mais ce monde maudit, traître plus que fou, lui tourna le dos dès qu’il fut malheureux.

 

Mais... patience ! n’oubliez pas que le monde est un charlatan. Sa gloire s’évanouit comme un songe. Rien ne résiste au bras de la mort : elle court, elle vole, elle se glisse partout, et, pour montrer sa puissance, elle roule pêle-mêle dans la tombe le riche et le mendiant.

 

Personne ne peut se garantir du tranchant de ses armes ; les jeunes et les vieux, les piétons, les cavaliers, relèvent de ses droits, rien n’est sacré pour elle. Hélas ! où êtes-vous, valeureux soldats qui faisiez trembler le monde ? Alexandre, César, qu’êtes-vous devenus ? une poignée de poussière.

 

Si les princes pouvaient mourir par procureur, je crois qu’il en mourrait bien peu. Mais l’arrêt fatal n’excepte personne, et celui qui l’a porté, celui qui tient le monde dans sa main, celui qui donne la vie à tout ; celui là même a dû le subir pour laver le péché de nos premiers parents.

 

Pâris, quelle était ta folie de brûler Ilion pour posséder une beauté qui t’avait séduit, et qui te traînait après elle au gré de ses caprices ! Dis-moi, que t’en revint-il après l’avoir possédée ? Ah ! si le ciel voulait te rendre à la vie, tu verrais que l’objet de tes amours n’est plus qu’un monceau de pourriture !

 

Hélas ! Pierre n’est plus ! Mes yeux le pleurent encore ; les beaux esprits le regrettent à chaque instant. Dieu soit loué Ainsi, après avoir couru, nous sommes forcés de marcher à pas lents Et lui qui était si fort, si bien portant ; lui, il a été abattu en un clin-d’œil ! et de tout ce qui était lui, il ne reste ‘plus que fumée et poussière !

 

Au milieu de son humeur joyeuse, de ses saillies spirituelles, le malheureux s’est vu saisir et coudre dans un linceul. Ah ! la traîtresse à l’esprit et à l’œil de travers, s’est montrée par trop rigoureuse, en enlevant subitement la gloire de la Gascogne et la fleur de Toulouse !

 

Ducs, comtes, grands seigneurs, jaloux de sa science, s’honoraient de passer quelques instants avec lui. Maintenant, ils se souviennent encore et de ses pensées spirituelles, et de ses traits malins. Non, je ne crois pas que jamais personne puisse l’égaler : ses vers, si beaux, entraînaient tous les cœurs, et ses reparties badines faisaient l’admiration de tous ceux qui le connaissaient.

 

Ennemi de la chicane et de toutes ses ruses, il abandonna le barreau pour courtiser les neuf Sœurs ; aussi Apollon ne le quittait plus, et il était si ravi d’entendre ses vers, qu’il lui céda la conduite du char du soleil, et le gouvernement de la fontaine d’Hippocrène.

 

Quoique sans fortune, il avait tant de force de caractère, qu’il traita toujours l’amour comme un enfant : jamais il ne voulut de femme dans sa maison ; et, pour dire en un mot son origine, son père était barbier, et lui fut. le rasoir qui coupa le filet de la langue gasconne.

 

Son petit Rameau toulousain, que tout le monde vante, tant à cause de l’invention que de la richesse des rimes, a gravé son nom pour l’immortalité. Jamais, pendant toute sa carrière, il n’a fait un seul vers satyrique contre le respect que l’on doit à Dieu, à l’amour et à la vertu.

 

Tout le monde sait que dame Clémence lui fit cadeau d’une fleur de son joli jardin, en récompense de ses deux magnifiques chants royaux, qui ne cesseront jamais de fleurir ; car il n’y a personne qui n’ait conservé dans sa mémoire le petit morceau de bois qui arrache l’araignée de son trou.

 

Il a chanté d’une voix admirable le nom du grand Henri, ce foudre de guerre dont le monde admire les exploits. Ensuite, il a peint avec tant de chaleur les vertus de son fils Louis, que l’on chante en tous lieux la violette de Mars qui nous ramène le printemps.

 

Mais que n’a-t-il pas écrit ? épigrammes, odes, élégies, vers amoureux de toutes les façons. Aussi, pour récompenser les travaux de sa muse charmante, la ville de Toulouse lui vota, sur la fin de ses jours, une rente de cent francs.

 

Je n’en finirais pas si je voulais décrire tous les ouvrages qui lui assurent l’immortalité. Mais, considérons un peu le changement extraordinaire qu’il a subi : sa gloire sera éternelle ; son corps, jusqu’au jugement de tous les hommes, restera enfermé dans le tombeau, tandis que sa belle âme se sera déjà retirée auprès de Dieu, dans le ciel.

 

Enfin Goudouli, le bon Goudouli n’est plus. Avec lui sont morts les doux passe-temps, les délices, la joie, le prince de la poésie toulousaine, le père des bons enfants, l’honneur de cette ville et son plus bel ouvrage ; avec lui sont mortes et ses vertus et son aménité ; avec lui a disparu son esprit, cet esprit qui faisait la joie et le bonheur de tout un peuple !

 

Eh bien ! compagnons, que faire maintenant ? que faire ? à moins d’être plus sot que l’animal stupide qui tourne la meule d’un moulin, il faut tourner le dos au plaisir et au péché, et puisque nous savons qu’un jour tout passe, tout s’évanouit, chantons dévotement ; chantons de cœur un requiescat in pace pour le pauvre Goudouli.

 

 

 

GAUTIÉ.

 

Recueilli dans Le troubadour moderne ou

Poésies populaires de nos provinces méridionales,

traduites en français par M. Cabrié, 1844.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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