Marche forcée

 

 

Maintenant c’est décidé : tu peux lui dire que j’irai, même si l’océan nous sépare ;

 

Même si la montagne, en son entassement de rocs et de glace, m’empêche de passer.

 

J’irai ! que ce soit le jour quand le soleil sue à grosses gouttes l’or en fusion

 

Ou la nuit, qu’importe ! lorsque tous les démons crachent l’âcre fumée du feu qui les consume.

 

En avant donc, mon âme et mon corps brutalement engagés dans un même combat

 

Mais sans le glaive de l’archange tranchant net les tentacules du maudit à l’étroit dans son repaire de sorcière.

 

En ayant ! Puisqu’aussi bien sur ce promontoire où je suis acculé

 

Il n’est plus d’espace pour fuir et qu’une simple chiquenaude me ferait choir dans l’abîme.

 

Le voici tout meurtri le pécheur qui se relève parce que l’appel jusqu’à lui de faute en faute se répercute,

 

Et il sait que, malgré tout, rien n’est perdu puisque dans l’invisible il est une réalité plus évidente

 

Que toutes celles de l’univers entier où il est captif comme dans un réseau de fils subtils entremêlés de doute.

 

Alors à quoi bon renoncer quand tout se résume à cette marche forcée dans la poussière et dans le vent,

 

Dans la fournaise où d’autres ont passé sans que la flamme les empêchât un seul instant de chanter.

 

Car, pour qui cherche Dieu, il n’est pas de solitude véritable,

 

Mais seulement le silence en sa sérénité plénière opposé aux rugissements de l’abîme.

 

Ainsi tout le chemin est à refaire, et non point vers ce passé maudit

 

Qui s’enfonce dans le tourbillon des ténèbres d’automne,

 

Mais de ce côté-ci vierge sous la première neige de l’hiver illuminé de cierges

 

Comme une postulante au matin clair de sa vêture.

 

Et pour qui regarde de plus près, il y a cet unique sentier qui court joyeusement au milieu du paysage blanc

 

Avec tous les petits enfants en sabots qui le suivent et les grandes personnes aussi, une lampe à la main,

 

Et dans le ciel cette étoile vagabonde enfreignant les lois les plus strictes de l’astronomie

 

Pour survoler tout ce pèlerinage tel un oiseau de feu dans sa migration mystérieuse.

 

N’est-ce pas Noël aujourd’hui sur la terre ! Et dans mes propres ténèbres aussi l’astre s’immobilise.

 

Alors pourquoi ne pas suivre ces paysans mal vêtus, ces grossiers marchant comme des bœufs sur les labours ?

 

Pourquoi ? puisque je suis marqué parmi tant d’autres de l’astérisque...

 

Et puis le chemin du rachat ne passe-t-il pas par l’étable de Bethléem ?

 

En marche donc avec tous ceux-là qui s’en vont guidés par le signe de Dieu !

 

Car pour vivre l’éclatant matin de Pâques dans la scintillante rosée

 

Il faut adorer l’Enfant-Jésus d’abord et Lui offrir notre âme inapaisée.

 

 

 

Maurice GÉRIN,

Hymnes dans la Fournaise, 1960.

 

Recueilli dans

La nouvelle poésie belge d’expression française,

anthologie 1950-1960,

préfacée par Pierre-Louis Flouquet,

Unimuse, 1961.

 

 

 

 

 

 

 

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