Je suis esprit et roi

 

 

Je suis esprit et roi. Je domine le monde,

Je suis noble et puissant, je commande.

Vous cieux, bleu lointain qui couronnez ma tête,

Vous m’appartenez, si lointain que vous êtes.

Et vous nuages, à cheval sur vos sommets,

je bride vos fureurs, je les soumets.

Rien en dessous de moi, terre, je sonde

au plus secret de ton intimité profonde.

 

Dieu, de sa main divine, jeta aux

champs de l’abîme une semence de joyaux.

« Rapporte-les, dit-il à l’homme, viens

près de moi comme un roi portant son sceptre.

Mais si le trésor t’éblouit, si tu demeures

dans la ténèbre, avec lui, pareil au voleur,

restes-y, garde-le, et qu’il te soit maudit.

Loin de moi dans l’abîme, demeure avec lui.

 

Ô Seigneur, pour mes bras, vos ordres sont trop lourds.

Mon cœur faiblit, je succombe, au secours !

Je dois trahir, je vais trahir si vous

ne m’aidez, miséricordieux Jésus.

Car votre serviteur vous est connu :

ne comptez pas sur lui ! Si vous ne le suivez

étroitement, il s’enfuira, d’un autre épris,

et le veau d’or sera son dieu. Mais si

vous l’assistez, et ne lui cachez pas

votre amoureux visage et son éclat,

s’il sait qu’un œil le poursuivra partout,

il craint, il tremble, il reste tout à vous.

Jésus, que votre sang se fige sur ma tête,

qu’il y brille. S’approche alors le monde vain :

il le voit de très loin, il le voit et s’arrête,

il n’étend pas davantage la main.

Ah ! s’il savait combien mon cœur se trouble quand

me contemple son œil de serpent !

Ah !s’il savait combien je me fais violence

quand vers ses bras tout mon être s’élance,

attiré comme l’oiseau innocent, il viendrait,

il viendrait, et pour toujours me garderait.

Mais s’il vous plaît, Jésus, votre sang sur ma tête,

votre sang sur ma tête et sur mon front afin

que chacun puisse voir, que chacun voie ! Vous êtes

à moi, je suis vôtre, vous êtes mien.

Alors, je marcherai tranquille, indifférent

aux luttes, aux rumeurs, aux ennemis

qui m’environnent, indifférent

à ce que nul ne soit plus mon ami

Avec vous dans mon cœur, votre sang sur ma tête,

le sang dont a besoin mon front coupable,

avec vous dans mon cœur et mes yeux sur la croix,

encor dix pas, trois pas, un pas – hosannah,

hosannah trois fois, encore un pas, et d’une voix

je crie, ô Jésus, je me jette dans vos bras.

 

 

 

Guido GEZELLE, Poèmes, chants et prières, 1862.

 

Traduit du néerlandais par Liliane Wouters.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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