Notre-Dame de Chartres

 

 

Je suis noire, mais je suis belle,

Couleur des immenses labours

Dont la Providence éternelle

Nourrit le blé, couleur de jour,

 

Et, comme la glèbe, je porte,

À l’insu de mes laboureurs,

Le pain secret qui réconforte

Aussi bien que les corps, les cœurs.

 

Ce bon peuple m’a devinée,

Avant la naissance de Dieu,

Comme divine et désignée

Pour alléger le poids des cieux.

 

Parmi les divinités sombres

Qui régnaient sur le vieux pays,

Filles de la peur et de l’ombre,

Je fus la seule qui sourît.

 

Et, suspendus à mon sourire,

Les prêtres du chêne et du vent

Entrevoyaient l’immense empire

D’un Maître plus doux et plus grand.

 

Ainsi s’éleva mon image

Sous le fardeau fleuri des dons

Dont ils couronnaient mon visage

Comme une offrande au Dieu sans nom,

 

Et nul ne se doutait encore,

En ce sourcilleux Occident,

Que je portais en moi l’aurore

En train de poindre à l’Orient.

 

Je suis noire, mais je suis belle.

Mon peuple a compris ma beauté.

Il fut, avant la foi, fidèle

Et je lui dois fidélité.

 

Sur la plaine qu’il a fouie,

Je pousserai deux hautes tours,

Pour que ses moissons soient bénies

De leur grande ombre, chaque jour.

 

Comme une motte, sous l’église,

Je germe – et ne cesserai plus

D’enfanter la Grâce promise

À mon peuple : l’épi Jésus.

 

 

 

Henri GHÉON.

 

 

 

 

 

 

 

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