La grenade

 

 

 

Et la beauté de quelques arbres, quand ils sont très chargés de fruits déjà mûrs, qui ne la voit ? Quelle chose est aussi joyeuse à la vue qu’un pommier ou un calvil, les branches chargées de toutes parts de pommes peintes de si diverses couleurs et dégageant une si suave odeur ? Il faut voir une treille, et, parmi les feuilles vertes, voir pendre tant et de si grandes et de si belles grappes de raisins : de diverses races et couleurs. Que sont-elles sinon des sortes de beaux joyaux suspendus à cet arbre ? Et l’art d’une belle grenade, comme il nous montre la beauté et l’art du Créateur ! Cet art est si artificieux, que je ne puis m’empêcher de le représenter ici. Car il la vêt extérieurement d’une robe faite à sa mesure, qui l’entoure toute et la défend des intempérances du soleil des vents ; au dehors, cette robe est un peu raide et dure, mais au dedans elle est plus douce, pour ne pas blesser le fruit qui y est enfermé, lequel est fort tendre ; mais à l’intérieur les grains en sont répartis et établis en un tel ordre, qu’il n’est place, si petite soit-elle, qui soit inoccupée et vide. La grenade entière est répartie en divers morceaux, et entre deux morceaux s’étend une toile plus délicate qu’un cendal, laquelle les sépare l’un de l’autre ; car, comme ces grains sont si tendres, ils se conservent mieux avec cette toile qui les sépare, que s’ils étaient tous ensemble. Et en outre, si un de ces morceaux se pourrit, cette toile défend son voisin, pour qu’une partie de son mal ne l’atteigne pas... Chacun de ces grains a au dedans un petit os blanc, pour qu’ainsi la partie molle soit mieux soutenue sur la dure, et au pied il a une petite queue aussi mince qu’un fil, par où monte la vertu et le jus, depuis le bas de la racine jusqu’au haut du grain ; car par cette petite queue le grain se nourrit et croit et se maintient tout comme l’enfant dans les entrailles de la mère par le cordon ombilical. Et tous ces grains sont installés sur un lit doux, fait de la même matière que la bourse qui revêt toute la grenade. Et pour que rien ne manque à la grâce de ce fruit, l’ensemble s’achève dans le haut par une couronne royale, qui semble avoir donné sa forme à celle des rois. En cela, le Créateur semble avoir voulu montrer qu’elle est la reine des fruits. Du moins pour la couleur de ses grains, aussi vive que celle des coraux, et pour la saveur et la sanité de ce fruit, aucun ne le surpasse. Car il est joyeux à voir, doux au palais, savoureux pour les gens bien portants et salutaire pour les malades, et de telle sorte qu’on le peut garder toute l’année. Et pourquoi les hommes, qui sont si subtils pour philosopher sur les choses humaines, ne le seront-ils pas pour philosopher sur l’art de ce fruit, et pour reconnaître grâce à lui la sagesse et la providence de Celui qui d’un peu de l’humeur de la terre et d’eau crée une chose si profitable et si belle ? L’Épouse l’avait mieux compris, qui, dans ses cantiques, invite l’époux au jus de ses grenades, et lui demande d’aller avec elle aux champs, pour voir si vignes et grenades ont fleuri.

 

 

 

Luis de Sarria de GRANADA,

Introducción del simbolo de la fé.

 

Recueilli dans Anthologie de la littérature espagnole

des débuts à nos jours, par Gabriel Boussagol,

Delagrave, 1931.

 

 

 

 

 

 

 

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