Le sommeil du matelot

 

 

Des derniers feux du jour l’horizon se colore,

Les doux rayons du soir s’effacent par degrés,

Voici venir la nuit que doit chasser l’aurore,

Et l’astre du repos brille aux cieux étoilés.

 

C’est l’heure où fatigué, le matelot s’arrête

Vers le hamac tendu que berce le roulis,

Et, près de s’endormir, en sifflant il répète

Les airs que jeune encore il chantait au pays.

 

Ils dorment !... Seul debout, le front plein d’espérance,

L’œil fixé constamment sur l’aiguille du nord,

La main au gouvernail, le pilote en silence

Dirige, au sein des mers, le vaisseau vers le port.

 

Ils dorment !... Et près d’eux immobile je veille ;

Jusqu’à moi leur haleine apporte sa chaleur ;

Leur souffle cadencé résonne à mon oreille...

Ils dorment !... Leur sommeil fait plaisir à mon cœur.

 

Ils dorment sans songer aux vents, à la tempête,

À l’orage grondant sur l’horizon lointain,

À ce globe de feu scintillant sur leur tête,

Au dieu qui sur les mers les conduit par la main,

 

Aux maux qu’ils ont soufferts, à leur triste existence,

À leur épouse en pleurs, à leur fils au berceau,

À ces lieux pleins de charme où coula leur enfance,

Et qui ne doivent pas leur servir de tombeau.

 

Oh ! loin de ces objets détourne leur pensée ;

Ô mon Dieu ! que la nuit ait pour eux des douceurs ;

Pour soupirer, hélas ! ils ont eu la journée !

La journée est si longue à qui verse des pleurs.

 

Que ton ange de paix les couvre de ses ailes,

Que sa main, de leur front, essuyant la sueur,

Leur montre dans les cieux ces palmes immortelles

Que tu gardes au front des fils de la douleur.

 

Qu’il mette dans leur cœur un germe d’espérance

Qui fleurira pour eux au-delà du trépas...

Ils dorment !... Leur réveil leur promet la souffrance !

Leur sommeil est bien doux, ne les réveillons pas.

 

 

 

Élisa GRANT.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1834.

 

 

 

 

 

 

 

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