La luciole

 

 

                              I

 

Sous la ténébreuse coupole

Que le soir suspend dans les cieux,

Une brillante luciole

Erre d’un vol capricieux.

 

Parfois on la croirait posée

Sur un brin d’herbe frémissant ;

Mais soudain, rayon ou fusée,

La voilà qui monte et descend ;

 

Puis, sans que son éclat pâlisse,

Elle fuit et, d’un air railleur,

Trace une lumineuse hélice

Autour d’une aubépine en fleur.

 

Pour suivre cette flamme ailée,

Une bande d’enfants joyeux,

Prenant vers elle leur volée,

Ont, sans regret, quitté leurs jeux.

 

Ils courent à travers l’espace,

Deux à deux, se tenant la main ;

En vain l’insecte les dépasse,

En vain il rebrousse chemin,

 

Ils vont, perdus dans la nuit sombre,

L’un chancelant, l’autre glissant,

N’ayant pour guide, dans leur ombre.

Que le sillon phosphorescent.

 

 

                             II

 

Allez, allez, troupe ingénue ;

Tournez vos yeux vers la clarté ;

Cherchez un éclair dans la mue,

Un astre dans l’obscurité.

 

Comme les Trois Rois des images,

Gaspard, Balthazar, Melchior,

Partez, ô chers petits rois mages,

Sur la foi de l’étoile d’or,

 

Et poursuivez votre chimère

Tandis qu’elle a tous ses rayons,

Car c’est une fleur éphémère

Que la fleur des illusions !

 

Pourtant, personne qui ne l’aime,

Tant elle a de charmants parfums ;

Les vieillards s’en couronnent même

Au banquet des rêves défunts.

 

Allez donc ; parcourez la voie

Où vous entraîne le désir ;

Semez dans l’air vos cris de joie,

Jetez au vent votre plaisir ;

 

Laissez, sans obstacle et sans trêve,

Loin du scepticisme moqueur,

Passer la lumière du rêve

Par le prisme de votre cœur.

 

Allez, et livrez-vous sans crainte

À l’espoir qui vient vous charmer ;

Ne redoutez nulle contrainte :

Qui de nous pourrait vous blâmer ?

 

Ne sommes-nous pas, nous, les hommes,

Comme vous perdus dans la nuit ?

Pauvres grands enfants que nous sommes,

Tout ce qui brille nous séduit !

 

Oui, dans nos ambitions folles,

Malgré le doute raisonneur,

Nous avons tous nos lucioles

Dans l’obscur sentier du bonheur.

 

– Les uns, pleins d’une foi candide,

Avec des efforts inouïs

Vers la gloire, soleil splendide,

Tournent leurs regards éblouis.

 

Les autres, penseurs peu moroses,

Ivres de leurs premiers beaux jours.

Rêvent l’éternité des roses

Dans le frais jardin des amours.

 

Chers enfants ! il en est encore

Qui, tout brûlants de puberté,

S’éprennent d’un pli tricolore

Sous l’astre de la liberté.

 

C’est la loi : toute créature

Pour qui l’idée est un flambeau

Ici-bas, selon sa nature.

Poursuit le vrai, le bien, le beau !

 

 

                           III

 

Illusions ! – Eh bien, qu’importe ?

L’intervalle est-il mesuré

Entre la réalité morte

Et le doux songe évaporé ?

 

D’ailleurs, est-il une contrée

Où fleurisse un bonheur réel ?

Qu’om la montre à l’âme égarée

Qui ne la soupçonnait qu’au ciel !

 

Cherchez-la hors de l’espérance,

Cherchez-la loin du souvenir,

Et dites, en votre ignorance :

« Sœur Anne, vois-tu rien venir ? »

 

Sœur Anne répondra : « – Dans l’ombre

Où plonge mon œil attentif,

Je ne vois que des maux sans nombre

Aux champs mornes du positif.

 

« L’homme y pleure sa joie absente,

Et, lassé d’un âpre chemin,

Pour oublier l’heure présente,

Rêve d’hier ou de demain.

 

« Partout je vois – profond mystère

Que Dieu seul approfondirait ! –

Flotter les âmes sur la terre

Entre l’attente et le regret ! »

 

Et vous avez raison, sœur Anne,

Et vos yeux sont de très bons yeux !

Mais, par delà le réel, plane

Un autre monde qui vaut mieux.

 

C’est le monde des rêveries,

Le beau pays des visions,

Où croît, dans de vertes prairies,

La fleur rose des fictions.

 

C’est la région enchantée

Où la pensée est sans lien :

Nul trouvère ne l’a chantée,

Quoique tous la connaissent bien !

 

Allez-y donc, enfants, poètes,

Femmes, artistes inspirés,

Doux musiciens qui nous faites

Des ailes de vos chants sacrés ;

 

Vous, peintres aux pinceaux de flamme,

Allez contempler les trésors

Qui s’offrent aux regards de l’âme

Quand se ferment les yeux du corps.

 

On peut bien clore la paupière

Pour voir, songe ou réalité,

Quelque parcelle de lumière,

Quelque rayon de vérité !

 

 

 

Ferdinand GRAVRAND.

 

 

Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi

par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,

professeur à l’Université de Liège, 1874.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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