Le cri

 

(PETIT POÈME VENDÉEN)

 

 

Notre humble Gombergère, où trente feux à peine

Sont épars, eut ses jours d’inénarrable peine :

Les monstres qui partout exerçaient leur fureur

Ne l’épargnèrent point, au temps de la Terreur.

Vertou n’offrant plus rien à leur hideux pillage,

Ils vinrent saccager et brûler le village.

 

Ainsi que des moutons à l’approche des loups,

Les habitants se sont à la hâte enfuis tous.

À ce petit troupeau qui tout en pleurs s’exile,

Un bois, près d’Aigrefeuille, offre un précaire asile ;

Hommes, femmes, vieillards, ils ne sont pas un cent.

 

Un enfant de six mois, qui n’a qu’un cri perçant,

Est au cou de sa mère, et dans le grand silence

La plainte du pauvre être incessamment s’élance,

Le jour, le soir, la nuit... Ah ! pour ces malheureux,

Que cette voix aiguë est un supplice affreux !

 

De leur cache elle peut révéler le mystère.

La mère n’obtient pas qu’il consente à se taire ;

Elle le berce en vain : toujours, toujours le cri !

 

Que veut-il donc ?... Un sein qui ne soit pas tari.

Sa nourrice manquant presque de nourriture,

Le lait ne monte plus, – et la faim le torture.

 

Et tous se résignaient à la mort.

                                                              Un matin,

Ils perçoivent un bruit vague dans le lointain ;

Puis un sinistre mot vole de groupe en groupe :

« Les Bleus ! »

                           Oui, c’était bien une infernale troupe.

 

Sous le bois tout se tait, tout, – excepté le son

Que pousse en se tordant le fatal nourrisson.

 

La mère alors, la mère – ô courage sublime ! –

Baisant son fils, lui dit : « Tu seras seul victime !

« Toi, qui ferais périr tout le monde en ce lieu,

« Cher innocent, tu vas être un ange de Dieu ! »

 

On entend, plus distincts, les pas de la colonne.

 

Sur les lèvres sa main s’applique et les bâillonne.

Pour la première fois cesse de retentir

L’inépuisable cri du frêle et doux martyr.

Celle qui le fit chair et dont la main le tue

À l’effrayant aspect d’une blême statue ;

Elle pleure... et pourtant elle ira jusqu’au bout !

 

Et tous, parents, amis, à ses côtés debout,

N’osant pas regarder ses doigts, versent des larmes.

 

Cependant la rumeur et des pas et des armes

Par degrés s’atténue, aucun Bleu n’apparaît,

Et l’on ne tremble plus au fond de la forêt.

 

Si ce n’est plus pour soi, c’est pour l’enfant qu’on tremble.

À l’entour de la mère ils sont là tous ensemble,

Immobiles, muets, se disant, anxieux :

« Cette âme a-t-elle pris son essor vers les cieux ? »

 

Si la vie en sa veine à la mort a fait place,

Nul ne le sait... La joue a le froid de la glace ;

À voir ses bras tombants, son air abandonné,

Qui ne croirait perdu le pauvre nouveau-né ?...

 

La mère – ah ! que d’angoisse en sa face hagarde ! –

L’enveloppe, l’étreint, et regarde ! regarde !...

Il semble qu’elle va de son œil enflammé

Rendre la flamme à l’œil éteint du bien-aimé.

Elle écoute, elle attend – confiance qui navre –

Car elle ne veut pas que ce soit un cadavre !...

 

Tout à coup, en sursaut, son front s’est relevé.

 

Et dans le bois ce cri résonne : « Il est sauvé ! »

 

 

 

Émile GRIMAUD.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1895.

 

 

 

 

 

 

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