Les saintes amitiés

 

À MADAME V. P.

 

 

J’ai lu dans Bourdaloue un chapitre admirable :

Les saintes amitiés. Le prêtre vénérable

Les voit avec effroi, les juge avec rigueur,

Et sur tous leurs dangers avertit bien le cœur ;

Il le dit hautement, quoi qu’en souffre son âme :

Craignez pour la vertu l’amitié d’une femme !

Qu’en son intention elle ait la pureté,

Qu’elle ait Dieu pour objet, le ciel, la charité,

Craignez-la, craignez-la ! la femme est toujours Ève,

Et même à son insu. C’est un dangereux rêve,

Que cette confiance en des épanchements

De sublimes pensers, de tendres sentiments !

Le cœur s’émeut parfois d’une manière étrange,

Et le démon y vient sous la forme de l’ange.

 

J’ai beaucoup médité sur ce divin discours,

Madame, et j’y reviens plus sombre tous les jours.

Triste sort ! triste monde, où tout nous est à craindre

Et de tant de rigueur je suis près de me plaindre,

De la trouver injuste, inflexible... Et pourtant,

Je frémis hier au soir, lorsque, m’interrogeant

Au foyer solitaire, à l’heure du silence,

Je me trouvai si triste, hélas ! de votre absence,

Que je me demandai si nul coupable espoir

Ne se mêlait jamais au bonheur de vous voir ;

Si des feux mal éteints la cendre réveillée

Ne jetait point de flamme en mon âme troublée ;

Si dans le bon dessein toujours bien affermi,

J’étais bien près de vous comme auprès d’un ami !

Non, répondit alors la voix intérieure,

Il faut à ces liens la céleste demeure,

Pour que nul ennemi n’y mêle son poison.

 

Toute la nuit j’ai dit : Bourdaloue a raison.

 

 

 

Ulric GUTTINGUER.

 

Recueilli dans Souvenirs poétiques

de l’école romantique, 1879.

 

 

 

 

 

 

 

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