La Vierge au cœur d’or

 

 

                           (Devant une madone du XVIIIe siècle).

 

À Marie-Paule Arsenault.

 

 

                                           I

 

Sainte Vierge au Cœur d’or, qui trônez sur l’autel

Où l’aïeul vous plaça dans un geste immortel,

Après avoir taillé du plus pur bois d’érable

Les plis de votre robe où pend un chapelet,

Les guirlandes de vigne aux gradins du retable

Et sur le tabernacle, en frise, un agnelet 

Vers lequel vous jetez des yeux de complaisance

En étendant les bras, prenez pitié de nous,

Pauvres bourgeons issus du vieux rameau de France !

Ce peuple qui vous aime et vous chante à genoux

Lorsque mai reverdit les branches séculaires,

Et qui s’assemble encore à l’ombre des calvaires,

Comme pêcheurs d’Armor au son du biniou,

Pour recueillir, au soir, la grâce des rosaires,

Ce peuple, vous l’avez – au temps des matelots

Qui prenaient hardiment la manœuvre des voiles –

Sauvé plus d’une fois en apaisant les flots

Des célestes reflets du phare des étoiles !

 

 

                                          II

 

Ave Maris Stella ! Sous le Cap Diamant

Montait cette clameur de fière délivrance !

Puis l’on vit s’élever, rustique monument,

Le clocher d’aune église à votre Recouvrance,

Ô Notre-Dame ! Et c’est ainsi qu’en ex-voto,

Les gars de la Rochelle et ceux de Saint-Malo,

Dont la mer soulevait les blanches caravelles,

En bûchant la forêt érigeaient des chapelles

Pour honorer, au temps des résurrections

Du mois d’amour, ce nom tout-puissant de Marie,

Et quand la moisson d’or ruisselle en la prairie,

Chanter l’alléluia de son Assomption !

 

 

                                         III

 

Ce peuple, comme un fruit des antiques croisades,

A produit cent pour un ! Vierge, rien n’est changé

Dans notre foi depuis les anciennes bourgades,

Depuis qu’un Quévillon, depuis qu’un Baillargé

Vous sculptaient des autels et des traits symboliques,

Plus émouvants que les marbres ides basiliques.

Rien n’est changé. La guerre a pris de nos enfants,

Et d’autres sont partis, phalènes, vers la ville,

Mais le bon paysan de chez nous dort tranquille

Parce qu’il sent sur lui vos regards triomphants.

Sainte Vierge au Cœur d’or, gardez-mous nos villages

Où tout est simple, où tout est ban, où tout est beau,

Où la fraternité domine tous les âges,

Où l’on a le respect du prêtre et du tombeau !

Nous sommes vos enfants, vos sujets, votre armée !

Ô Vierge des aïeux, Vierge des premiers jours,

Gardez-nous la maison, la terre bien-aimée

Où les Français d’hier seront Français toujours !

 

 

 

Charles-E. HARPE,

Les oiseaux dans la brume, 1948.

 

 

 

 

 

 

 

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