Vézelay

 

 

Cette halte m’est due et ce soleil est mien.

Depuis que j’ai quitté le monde où l’on s’amuse,

Je ne veux que baigner en ce repos serein,

Loin des complicités où notre être s’abuse.

 

Assise et Vézelay, ces deux sites sont rois ;

L’histoire et la légende, ensemble, y viennent vivre ;

Les ors et les saphyrs illuminent les toits.

L’âme lasse s’y perd, trop calme pour être ivre.

 

Forteresse au front dur et coteaux souriants,

Haut lieu des cœurs de lion et des abbesses chastes,

Repaire des croisés, des moines mendiants,

Ton passé peut combler les âmes les plus vastes.

 

La Madeleine altière, en sa mâle beauté,

Couronne le sommet, sans effets et sans pose,

Radieuse toujours, malgré sa vétusté,

Toute blanche de lis, d’aurore toute rose.

 

On accourt de partout, comme aux jours de jadis,

Où Bernard déployait l’étendard de lumière ;

Étincelant défi à nos temps affadis,

La basilique change une farce en mystère.

 

Morte douleur de vivre et joie au cœur de roc,

Serpentant sur les murs, sourit un vieux lierre,

Un rosier se souvient d’un air en langue d’oc,

Sur l’antique parvis se meurt une prière.

 

Angoisse de l’esprit aux clartés du levant,

Être libre, enfin libre, au milieu de son âge,

Et rêver chaque jour à l’aube se levant

Sur ces remparts ancrés au sein du Moyen Âge.

 

Énigme, soit ! Belle chimère en ces hauts lieux...

Reverrai-je longtemps la colline inspirée

Où mes nuits ont vaincu tous mes jours glorieux ?

Tu m’es chère, ô demeure, à jamais agréée !

 

Ne plus partir d’un point pour aller quelque part,

Quitter un jour sanglant pour une nuit de lune,

Dans ces lieux où régna la gabelle ou la hart,

N’être plus qu’un lambeau de chair inopportune.

 

Halte, départ ou chute, avant le grand oubli ;

S’inscrire au flanc d’un mont, s’emparer d’une étoile,

Qu’une aube ravira, selon l’ordre établi,

Quand le poète, hagard, aura tissé sa toile.

 

Rejet de l’avenir pour le moment sacré.

Moins de gloire en effet pour ce chercheur d’images

Qui découvrit l’horreur de se voir consacré,

Et garda son secret à l’abri des hommages.

 

Cherchons sur ce haut lieu préservé des étangs

À nous réfugier loin de la platitude,

Esprit et cœur ouverts, ô mes deux pélicans,

Transpercés par le dard aigu de l’altitude !

 

Fuyons sur les hauteurs ! La pestilence y craint

Les grands assauts du vent qui chassent la sanie.

Qu’on sache vivre ici, heureux, jamais contraint,

Hissons-nous sur ce trône hanté par le génie !

 

Debout sur la colline, un dernier soir ailé,

Regardant les oiseaux découper un nuage,

Je veux finir mes jours en mon vieux Vézelay,

Embaumé d’oraisons par un pèlerinage.

 

 

 

François HERTEL.

 

Paru dans Rythmes et couleurs

en mars-avril 1959.

 

 

 

 

 

 

 

 

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