Le cœur de la Terre

 

 

Malgré les ans, malgré les jours tumultueux

Qui fuient comme emportés par un souffle d’orage,

Je t’enveloppe encor d’un amour fastueux,

 

Ô terre ! Tu comprends, te sachant périssable,

Que tu me dois ta gloire et ta fécondité,

Que tu vis de ma vie, ô pauvre grain de sable !

 

Je me plais à t’orner de grâce et de beauté,

J’admire tes grands monts, tes plaines de verdure,

Et ton globe roulant sur son orbe emporté.

 

Dès l’aube, quand je sors des nocturnes froidures,

De tes pics hérissés j’allume le corail

Et sème de rubis tes mers aux longs murmures.

 

Tes arbres et tes fleurs m’empruntent leur émail,

Jusque dans tes roseaux je fais monter les sèves,

Et tes vastes forêts acclament mon travail.

 

Oh ! je garde présent, tout au fond de mes rêves,

L’horreur qui te saisit quand, la première fois,

Je me couchai sanglant, comme frappé de glaives.

 

Quand la première nuit enveloppant tes bois,

Glaçant tes lacs dormants sous les étoiles pâles,

Ralentit les efforts créateurs de tes lois.

 

Sur les grèves tes flots sonnaient comme des râles,

Tes cascades chantaient ton sombre désespoir,

Tes chênes gémissaient sous de froides rafales ;

 

Tu crus ta vie éteinte et n’espéras revoir

Mes rayons s’allonger sur tes mers turbulentes,

Pour réveiller encor la vie et le devoir.

 

Les ténèbres pesaient ; les heures étaient lentes,

Et le souffle baissait dans ton sein engourdi ;

Quand soudain les points d’or de mes flammes clémentes

 

Ranimèrent les sens en ton corps engourdi.

Tu rompis en chantant ta nocturne indolence,

Et bus avidement mes chaleurs de midi.

 

Je suis ton cœur, ô terre ! et ton sang se balance

Dans tes veines au gré du jour et de la nuit,

Et je règle, moi seul, ce battement immense !

 

Sur l’écliptique ardent ma force te conduit ;

Et, si je te lançais dans l’éther insondable,

Ton sang se glacerait et tout serait détruit.

 

Tu t’éloignes d’un pas, déjà l’hiver t’accable,

Et tes feuillages roux tombent de tes forêts

Sous le souffle mordant d’une bise implacable.

 

Tu te tournes vers moi ; voici que tu parais

Comme un rosier fleuri balancé dans l’espace,

Et tes parfums au loin caressent les vents frais.

 

Et pourtant, moi si grand, moi ta vie et ta grâce,

Je vis d’un autre cœur, cœur de tout l’univers,

Et devant son amour tout mon amour s’efface.

 

C’est Lui dont la bonté remplit mes vastes mers,

Pour féconder la nuit, de cyclones de flammes,

De fournaises de soufre et de volcans d’éclairs.

 

Je l’aime pour Lui seul et, comme tu m’acclames,

J’acclame dans les cieux son amour infini

De tout le grondement de mes énormes lames !

 

Ô terre ! que Lui seul soit aimé, soit béni !

Lui, le Cœur d’où jaillit la force et la lumière,

Lui qui veut que tout cœur à son Cœur soit uni,

 

Et qui mérite seul l’amour et la prière.

 

 

 

Hector HOORNAERT.

 

Paru dans Durendal en 1895.

 

 

 

 

 

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