La grande nuit

 

 

La Grande Nuit, rameau plein de givre, s’étend

Sur Dieu obscur et pauvre et nu comme un enfant.

 

À l’Orient, dans Bethléem, Il vient de naître.

Vingt siècles ne sont-ils comme un jour pour ce Maître ?

 

Auprès de ses parents en adoration,

L’âne et le bœuf Le gardent mieux que les lions.

 

Monte comme la mer, déborde ce poème,

Ô foi ! voici vraiment Celui que mon cœur aime.

 

Mon ange, prends ma main toute vibrante encor

Du rythme dont ce soir elle cherche l’accord.

 

De mes yeux à mes doigts descend cette lumière

Qui brille sur le front de la sainte Chaumière.

 

Conduis-moi vers la table où je me nourrirai

D’un Pain par qui, ô mort je te terrasserai.

 

Tout mon cœur affamé du Dieu qui le dévore

Fume comme un parfum qu’embraserait l’aurore.

 

Où le père va-t-il entouré par les siens ?

L’aïeule ? Et sa petite-fille ? Et le marin ?

 

Et le chasseur ? Et le tonnelier ? Et le pâtre ?

Où s’en vont-ils ? À Toi qui n’as jamais eu d’âtre...

 

À Toi qui, déliant d’un geste le trépas,

Jésus ! tires en haut ce qui se traîne en bas.

 

Le père eut le front ceint de pampres des collines ;

Le Calvaire tressa Ta couronne d’épines.

 

Les fils virent ployer les chaumes sous les grains ;

Tu portas un roseau stérile dans Ta main.

 

L’aïeule se vêtit de nombreuses quenouilles ;

Tu n’as eu qu’une robe, et dont on Te dépouille.

 

La fiancée sourit comme au soleil le flot ;

Jérusalem pour Toi fut pleine de sanglots.

 

Le fiancé monta des bâtiments de guerre

Tout pavoisés et Tu montas l’esquif de Pierre.

 

Le chasseur reconnaît de chaque oiseau le nid :

Du renard, le terrier ; il n’a pas vu Ton lit.

 

Le tonnelier toujours put boire en abondance

Le vin qui à Cana faillit en Ta Présence.

 

Le pâtre n’a pas vu s’immoler un agneau ;

Tu Te livres aux loups pour sauver le troupeau.

 

Aussi sachant que, tout, c’est Toi qui le leur donnes,

Et Tu ne gardes rien, ils Te dressent un trône ;

 

Le trône qui figure en l’église, ce soir,

Dans la crèche vers qui s’envole l’encensoir.

 

La part que Dieu se réservait des géorgiques,

C’était une litière, œuvre de domestiques.

 

De toute la moisson qui trembla sous le ciel,

Il ne veut qu’une gerbe vide pour Noël.

 

Mais les anges penchés avec amour sur elle

Chantent, et leur répondent les simples fidèles.

 

Les bancs que ces derniers font vibrer de leurs voix

Soulignent le plain-chant du trait net de la foi.

 

On croit voir s’élever alors par intervalles

Les fabriciens scandant la prose dans leurs stalles.

 

Le moment approchait que l’on voudrait sans nom.

Ici-bas l’homme l’a nommé : Communion.

 

L’âme battant de l’aile, à une aigle pareille,

Atteint les régions que la Grâce ensoleille.

 

Ce n’est plus ces rayons que nous avons chantés,

Si beaux quand la récolte est en maturité.

 

Afin qu’à Dieu notre âme et notre chair s’unissent,

Le blé avec le vin soudain s’évanouissent.

 

Il ne reste plus rien de la gloire des champs

Que l’Amour. Et le Ciel sur la Terre descend.

 

Tous étaient là : le maître et l’aïeule et les autres,

Tenant la nappe pauvre et pure des apôtres.

 

Et chacun à son tour recevait en son cœur

Vous que ne contient pas l’Univers, mon Seigneur.

 

Arrêtons-nous. Il faut ici que le silence

Remplace le haut vers que mon esprit balance.

 

 

 

Francis JAMMES,

Les géorgiques chrétiennes, chant III.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique

de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée

par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.

 

 

 

 

 

 

 

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