Prière pour aller au paradis avec les ânes

 

 

Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites

que ce soit par un jour où la campagne en fête

poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,

choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,

au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.

Je prendrai mon bâton et sur la grande route

j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis :

Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,

car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon-Dieu.

Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,

pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille,

chassez les mouches plates, les coups et les abeilles...

 

Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes

que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête

doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds

d’une façon bien douce et qui vous fait pitié.

J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,

suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,

de ceux traînant des voitures de saltimbanques

ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,

de ceux qui ont au dos des bidons bossués,

des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,

de ceux à qui l’on met de petits pantalons

à cause des plaies bleues et suintantes que font

les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds.

Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je vous vienne.

Faites que dans la paix, des anges nous conduisent

vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises

lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,

et faites que, penché dans ce séjour des âmes,

sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes

qui mireront leur humble et douce pauvreté

à la limpidité de l’amour éternel.

 

 

 

Francis JAMMES, Le deuil des primevères, 1898-1900.

 

 

 

 

 

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