Dans la gare

 

 

Entendez-vous le sifflet, furieux, strident,

La bête souffle en ses naseaux, cabre

Sa carcasse de fer, s’apprête au train rapide,

Et tout mugit, grands dieux ! comme un tonnerre.

 

Dans son ventre un feu s’affaire,

Qui pousse au ciel de noires fumées ;

On dirait l’image du monstre

Dont parle l’Apocalypse.

 

Et quelle course, quel tumulte avant

Que les voitures soient remplies.

Puis : « Paré ! », et terre et ciel

S’envolent, un rêve démoniaque.

 

Depuis ta naissance, animal cracheur

De vapeur, plus de poésie du voyage !

Plus de marchand partant à la foire

À cheval, avec ses éperons et le sac !

 

Bientôt plus de joyeux compagnon sur la route,

Sous la pluie et le vent, s’allongeant

Fatigué dans l’herbe et rêvant

À la belle enfant au pays.

 

Plus de malle à fouets claquants

Prenant son élan dans la ville,

Ni de postillon corniste réveillant

Les citadins au clair de lune.

 

Ni de couple paisible roulant

Dans son fiacre gentiment, d’où l’homme

Descend pour aller dans l’herbe

Cueillir la fleur pour son épouse.

 

Bientôt plus de voyageur attardé

Sur un sommet, contemplant la création,

Bientôt tout passera comme l’éclair

Sans un regard pour la nature.

 

J’accuse : homme, avec tes artifices,

Tu rends le ciel et la terre si froids.

Que ne suis-je, avant que tu joues

Des vapeurs, né dans la plus déserte forêt !

 

Où ne résonne plus de hache, né au fond,

Se peut-il, silencieux de la mer,

Où jamais je n’eusse entendu

Parler de toutes tes merveilles.

 

Roule, va jusqu’aux limites,

De paquebot en nef des airs !

Vole avec l’aigle, avec l’éclair,

Tu t’arrêteras à la tombe.

 

 

 

Justinius KERNER.

 

Recueilli dans Anthologie bilingue

de la poésie allemande,

Gallimard, 1993.

 

 

 

 

 

 

 

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